CNCTR – Bilan 2024 : entre maîtrise opérationnelle et vigilance

CNCTR – Bilan 2024 : entre maîtrise opérationnelle et vigilance
11 août 2025 Olivier Debeney

CNCTR – Bilan 2024 : entre maîtrise opérationnelle et vigilance

La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) a publié son 9ᵉ rapport annuel le 26 juin 2025. Ce rapport public présente les éléments techniques, juridiques et statistiques relatifs à l’activité des services de renseignement. Créée par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015, la CNCTR veille à la conformité de la mise en œuvre des techniques de renseignement au cadre légal.


Contexte 2024:

L’année 2024 fut une année exceptionnelle et chargée pour les services de renseignement. En effet, avec les élections européennes, les jeux olympiques et le parcours de la flamme, la réouverture de Notre-Dame de Paris, les émeutes et l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, ainsi que les troubles violents en Martinique et en Guadeloupe, l’année 2024 fut tumultueuse.

En 2024, la lutte contre le terrorisme redevient la première finalité du renseignement. En 2023, c’était la criminalité organisée.


Moyens humains et activités de la CNCTR:

  • Demandes d’emploi de techniques de renseignement (hors communications électroniques internationales): 98 883 demandes (contre ~95 000 demandes en 2023)
  • Personnes surveillées: 24 308 personnes surveillées (contre 24 209 en 2023)
  • Avis défavorables: 0,8% en 2024, toutes techniques confondues
  • Augmentation des écoutes téléphoniques dans les limites fixées par la CNCTR
  • 157 réunions collégiales
  • 123 contrôles dans les services
  • 3,4 M€ de budget
  • 9 membres (4 à temps plein), 22 agents
  • 10 déplacements dont 1 en outre-mer

Constats opérationnels

Malgré un contexte tendu, l’action des services de renseignement fut mesurée et sélective.

Le contingent des interceptions (“écoutes téléphoniques”) a été augmenté temporairement pour les JO puis pérennisé dans une proportion moindre compte tenu d’un niveau de menace élevé.

Le rapport constate quelques anomalies en ce qui concerne le recueil des données dans des “bulletins de renseignement” (incomplétude, absence, retard). Ils permettent d’apprécier la légalité et l’utilité d’une mesure de surveillance et de constater si les informations conservées après l’effacement des données brutes sont bien dans la finalité de l’action poursuivie.

Une orientation stratégique fut aussi décidée fin 2023 afin de centraliser au Groupement interministériel de contrôle (GIC) tous les produits issus des recueils de données informatiques (RDI). Le dispositif opérationnel est prévu pour mi-2027.


Évolutions techniques majeures

Algorithme (art. L. 851-3 CSI): 

  • Depuis 2024, à titre expérimental, l’algorithme s’applique, en plus du terrorisme (4°), aux finalités (défense nationale) et (ingérences étrangères) jusqu’au 1ᵉʳ juillet 2028
  • Procédure en deux temps (détection anonyme puis levée d’anonymat), et pas de procédure d’urgence prévue pour l’art. L.851-3
  • Augmentation de son utilisation dans le suivi préventif d’événements à risque

Recueil de données informatiques (RDI):

  • Forte hausse du recours (+27%) pour contourner le chiffrement des communications
  • Projet lancé fin 2024 pour renforcer le contrôle a posteriori de la CNCTR
  • Intégration d’outils de filtrage et d’extraction automatisés pour réduire la masse à traiter manuellement
  • Décision de centraliser tous les produits RDI au GIC, objectif opérationnel mi-2027

Bulletins de renseignement:

  • Rôle central pour le contrôle a posteriori
  • Lacunes relevées dans certains services (informations incomplètes, finalité mal indiquée)

Techniques de localisation:

  • Meilleur usage de la géolocalisation en temps réel
  • Les balises demeurent stables (~2 000 demandes/an) sur 5 ans
  • Apparente baisse ~10 % des géolocalisations en temps réel en 2024 expliquée par un changement logiciel fin 2023
  • CNCTR considère qu’il y a une nécessité réaffirmée d’un encadrement strict

Coopération interservices:

  • Développement de passerelles techniques internes (1er et 2e cercle)
  • Absence persistante d’harmonisation juridique pour le partage avec l’étranger

Cadre juridique de la technique de l’algorithme

La base légale de la technique de l’algorithme provient de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, introduit par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015.

  • Objet: Exploiter de façon automatisée des données de connexion pour détecter des indices de menace
  • Champ: Finalités , et uniquement (défense nationale, ingérences étrangères, terrorisme), l’extension 1°/2° étant expérimentale jusqu’au 31/07/2028
  • Procédure: Autorisation préalable du Premier ministre, après avis préalable de la CNCTR ; pas d’urgence en L. 851-3
  • Durée: Autorisation initiale de 2 mois ; renouvellements de 4 mois ; destruction immédiate des données non pertinentes ; délai de 60 jours pour la levée d’anonymat
  • Garanties:
    • Absence d’accès au contenu des communications avec des traitements limités aux catégories de données prévues par la loi
    • Proportionnalité et nécessité strictement contrôlées par la CNCTR (subsidiarité renforcée pour les techniques les plus intrusives)
    • Limitation aux seules finalités légales (1°, 2°, 4°). La décision n° 2025-885 DC du 12 juin 2025 censure l’extension de l’algorithme à la criminalité/délinquance organisées

Encadrement international et jurisprudence

Dans sa décision du 10 décembre 2024, Association confraternelle de la Presse Judiciaire et autres, n°49526/15, la CEDH reconnait l’équilibre de la loi française sur les techniques de renseignement et du rôle de la CNCTR. La Cour ne constate pas de violation par le cadre français.

En revanche, la lacune d’un cadre juridique spécifique pour l’échange d’informations entre services français et étrangers demeure un point de vigilance, au regard notamment de la jurisprudence Big Brother Watch (CEDH, 25 mai 2021).

Initiatives législatives liées à la sécurité nationale (2024-2025):

  • Loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères
  • Rapport sénatorial n° 588 sur l’impact du narcotrafic en France
  • Proposition de loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic », texte adopté les 28–29 avril 2025.