
Migrations, arrêts juridiques et déclinaison de stratégies : une période estivale inhabituellement (et politiquement) chargée en Europe
La Cour de Justice de l’UE (CJUE) tranche, dans une batterie d’arrêts, plusieurs contentieux en matière migratoire.
Par Aurélien Jean, diplomé du Master 2 de Sciences Po Affaires européennes, stagiaire aux greffes du tribunal de la Cour de Justice de l’Union européenne et membre des jeunes du CRSI
Notion de pays « sûr » : les conditions d’octroi de ce qualificatif précisées
Saisie d’une question préjudicielle posée par un tribunal italien, la Cour de justice a rendu un arrêt le 1er août 2025 relatif à la désignation de pays tiers comme « pays d’origine sûrs » (affaires jointes C-758/24 et C-759/24). Cette notion est tout sauf anecdotique alors que la Commission compte la mettre au centre de ses nouvelles mesures en vue d’améliorer l’exécution des éloignements ordonnés pour les demandeurs d’asile déboutés en Europe. D’ailleurs, Bruxelles reprend à son compte un agenda politique soutenu par Rome, pionnière ces dernières années en matière de créativité pour les éloignements (voir, à ce sujet, la note du CRSI).
L’affaire – jugée en Grande chambre et présentant un nombre élevé d’observations déposées par des Etats-membres (EM) – trouve son origine dans le rejet en procédure accélérée par l’Italie d’une demande d’asile introduite par deux ressortissants bangladais convoyés vers un centre construit en Albanie par Rome. Dans ce contexte, et alors que les conclusions de l’avocat général rendues en mai semblent avoir été suivies, l’arrêt peut sembler en demi-teinte pour le gouvernement de Giorgia Meloni. En effet, si les juges européens considèrent qu’un migrant peut parfaitement être débouté de sa demande d’asile lorsque son Etat d’origine est sûr, plusieurs conditions sont assorties.
D’abord, la désignation de « pays sûr » doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif portant notamment sur le respect de certaines conditions matérielles comme, ici, dans le cadre d’une procédure accélérée. Aussi, les sources d’information ayant présidé à la catégorisation des pays tiers en question doivent pouvoir être accessibles pour le demandeur d’asile – et naturellement contrôlables par la juridiction. Dans le cas contraire, cela priverait la partie déboutée d’une protection juridictionnelle effective. La Cour estime qu’elle peut elle-même prendre en compte des informations fiables recueilles par ses soins, moyennant la présentations d’observations sur celles-ci par les parties.
Enfin, et surtout, la Cour dit pour droit qu’un EM ne peut désigner un Etat tiers comme « sûr » s’il ne satisfait pas, pour l’entièreté des personnes présentes sur son sol, aux critères requis pour cette appellation. En clair, un pays globalement « sûr » mais dans lequel des minorités ethniques ou sexuelles peuvent courir des risques d’atteinte à leurs droits ne peut être considéré comme tel – ce qui limite en pratique assez fortement la liste. Point de taille : les juges précisent que cette interprétation n’est valide que jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau règlement remplaçant l’actuelle directive 2013/32 – c’est-à-dire jusqu’au 12 juin 2026, date que les colégislateurs peuvent anticiper s’ils le souhaitent.
Cette décision a été vécue comme une « surprise » par le gouvernement italien qui voit un nouvel obstacle se dresser sur son plan (à 650 millions d’euros) d’externalisation des centres de retour. Un précédent arrêt de la CJUE d’octobre 2024 avait déjà confirmé la nécessité de respecter les critères de désignation sur l’entièreté du territoire ; ce que l’Italie avait pris en compte en qualifiant le Bangladesh et l’Egypte de « pays sûrs » – qualification qui pourrait être désormais annulée par les juges transalpins, au grand dam du Gouvernement. La Première ministre a déjà vivement critiqué la décision de la justice européenne.
Demande s’asile et obligation de présence lors de l’examen du recours : la loi grecque contraire au droit de l’Union
Saisie d’une question préjudicielle posée par le tribunal de première instance de Thessalonique (Grèce), la CJUE a été amenée, le 3 juillet 2025, à préciser le droit européen relatif aux procédures de demande d’asile (affaire C-610/23, Al-Nasiria). En l’espèce, moins que le fond du dossier présenté par le requérant pour justifier de sa demande d’asile, ce sont certaines disposions de la loi hellénique qui ont été visées.
En effet, en Grèce, la législation prévoit qu’un demandeur d’asile doit comparaître physiquement lorsque son cas est abordé par le tribunal instruisant le dossier. S’il ne le fait pas, une présomption automatique d’introduction abusive du recours est appliquée, conduisant au rejet de la requête. Le juge national voulait savoir si ces dispositions sont compatibles avec la directive 2013/32 régissant les procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. La cour de Luxembourg a répondu par la négative et avancé plusieurs points, à la lumière de l’article 47 de la Charte des Droits Fondamentaux.
D’abord, la Cour note que la présomption automatique d’abus en cas de non-présence crée une automaticité de refus, ce qui n’est pas compatible avec le droit d’être entendu par un tribunal impartial car il n’y a de facto aucun examen au fond de la situation du demandeur d’asile.
Ensuite, les juges ont estimé que la loi grecque n’était pas proportionnée aux objectifs à atteindre, en ce que des mesures moins contraignantes pourraient être adoptées : représentation par un avocat ou preuve de la présence sur le territoire à proximité immédiate du lieu de résidence (commissariat, etc.). Cela est particulièrement vrai pour les personnes ne résidant pas à proximité d’Athènes, où les recours sont examinés.
Enfin, la CJUE a relevé que l’objectif de la comparution physique est surtout de montrer la présence de l’individu, et non de l’entendre effectivement sur sa situation. Ici aussi, cela viole le principe de proportionnalité – quand bien même la Cour reconnait que cela puisse contribuer à l‘efficacité du système judiciaire en dissuadant les recours abusifs.
Obligation de couvrir les besoins fondamentaux des demandeurs d’asile, même en cas d’afflux imprévisible de ces derniers
Dans un arrêt également rendu le 1er août 2025 (C-97/24), et interrogée par la Haute Cour irlandaise, les juges de la troisième chambre de la Cour de justice ont estimé que l’Irlande avait manqué à ses obligations en ne donnant pas un logement à deux demandeurs d’asile arrivés sur son sol – et non éligibles à l’allocation de subsistance prévue par le droit irlandais. Si Dublin a fait amende honorable en reconnaissant les faits allégués, elle a plaidé une saturation de ses capacités d’accueil causée par un afflux massif et imprévisible de demandeurs d’asile.
La Cour a estimé que la directive 2013/33, ainsi que la Charte des Droits fondamentaux de l’UE, imposait aux EM d’octroyer des conditions matérielles garantissant un niveau de vie satisfaisant (logement, allocation…). Ce faisant, en s’en abstenant, l’Irlande est allée au-delà de la marge d’appréciation dont elle dispose en la matière – et a donc violé le droit de l’Union. En effet, même en cas de circonstances exceptionnelles entraînant l’application du régime dérogatoire, l’EM doit pouvoir couvrir les besoins fondamentaux des demandeurs de protection internationale – au nom de la dignité humaine. La CJUE précise en outre que rien ne prouve que l’Irlande n’aurait pu agir autrement, par exemple en donnant des bons financiers ou un logement en dehors du système normalement prévu. La méconnaissance des obligations est enfin suffisamment caractérisée pour engager la responsabilité du pays et donner droit à une indemnisation.
Belgique : fusion des zones de police à Bruxelles et réforme du regroupement familial… mais jugement sévère adressé par le Conseil d’Etat néerlandais
Le débat sur la fusion des zones de police à Bruxelles est aussi vieux que la création de ces mêmes zones à la fin du siècle dernier (voir, pour un rappel approfondi du dossier et de ses différents enjeux, la note-dossier du CRSI). Cependant, depuis le début de l’année 2025, le Gouvernement fédéral belge montre une volonté d’avancer sur cette question et un accord politique est tombé en « Kern » – conseil des ministres restreint, avant présentation à la Chambre donc – le 21 juillet 2025, jour de la fête nationale. Le Kern s’est accordé sur les modalités pratiques de la mise en œuvre de cette réforme, et notamment sur le soutien financier de 55 millions d’euros sur cinq ans à destination des zones bruxelloises, notoirement endettées et défavorisées par la méthode de calcul des dotations fédérales. Une clause de rendez-vous est également prévue afin d’ajuster, si besoin, cette enveloppe à la hausse.
Précisions au passage que cette réforme intervient dans un contexte estival marqué par une recrudescence notable des fusillades, notamment à Bruxelles-ville, Molenbeek-Saint-Jean, Schaerbeek et Anderlecht – des zones parmi les plus touchées par les violences liées au narcotrafic. A ce titre, le Procureur du Roi a une nouvelle fois tiré la sonnette d’alarme et rappelé le manque d’effectifs de la police judiciaire – le tout alors qu’aucun gouvernement régional bruxellois n’a encore été formé, quinze mois après les élections.
En parallèle de ces développements politiques, un autre évènement a rappelé les difficultés des autorités belges en matière migratoire et de respect des décisions de justice par le fédéral. Un constat sévère sur ce sujet a été adressé par le Conseil d’Etat des Pays-Bas dans un arrêt du 23 juillet 2025. La Cour administrative du pays note que les demandeurs d’asile qui devaient normalement, en vertu des règles de Dublin, être renvoyés en Belgique ne doivent plus l’être. Le pays souffrirait en effet de « défaillances systémiques » dans la fourniture des besoins de base et de solutions d’hébergement et de protection. Les juges néerlandais notent en outre que ces problèmes sont davantage durables que temporaires et rappellent que l’Etat belge a été condamné des milliers de fois en matière sans que la situation n’évolue réellement. Le Gouvernement belge, par la voix de la ministre (NV-A, nationaliste flamande) Anneleen Van Bossuyt, se défend en parlant d’une situation à l’échelle européenne et d’une « surcharge structurelle » des capacités d’accueil du pays.
Toujours en matière migratoire, un projet de loi en examen à la Chambre prévoit de durcir les règles du regroupement familial, première porte d’entrée pour l’immigration légale en Belgique – 59 000 titres de séjour accordés en 2023. L’axe principal défendu par le Gouvernement est de réduire le coût du regroupement familial pour la société, en exigeant du demandeur un revenu plus élevé (110% du salaire minimum augmenté de 10% par membre de la famille) assorti d’autres conditions comme un logement correct. D’autres mesures concernent aussi les délais, qui seront raccourcis pour les personnes reconnues réfugiées. Elles auront 6 mois pour remplir les démarches contre un an actuellement. Les frais de dossier pour une demande de naturalisation seront portés de 150 à 1000 euros et les étrangers en séjour irrégulier pourront être expulsés plus facilement, au besoin via une visite domiciliaire pour les plus dangereux. Enfin, l’obligation, pour les personnes candidates au regroupement, de se présenter physiquement dans un poste consulaire belge est maintenue (en dépit de l’absence de tels postes dans certains pays). Précisons que de nombreuses associations, rejointes par le Haut-Commissariat aux Réfugiés (organisme de l’ONU), dénoncent ce durcissement.
A noter que le durcissement du regroupement familial n’est pas qu’une tendance d’outre-Quiévrain, puisque le Portugal a lui aussi réformé ses règles en la matière dans une loi votée le 16 juillet 2025. Ici aussi, les conditions seront rehaussées, les visas n’étant accordés qu’à des immigrés hautement qualifiés. Les Brésiliens perdront la règle spéciale qui leur permet de ne régulariser leur situation après l’arrivée sur le territoire portugais. Le volet « expulsions » sera renforcé, avec la création d’une unité spéciale dans la police. L’objectif affiché est de mettre fin à l’une des politiques les plus libérales d’Europe, qui permettait de régulariser un étranger travaillant depuis un an. Un délai d’attente sera instauré et fixé à deux ans avant de pouvoir demander le regroupement familial.
Les migrations : sujet d’initiatives et de tensions en Europe et dans son entourage
Statistiques :
L’agence européenne de garde-côtes et de gardes-frontières (Frontex) a rendu publiques ses statistiques actualisées pour le premier semestre 2025. Elle y relève une diminution d’environ 20% des franchissements illégaux de frontières en comparaison de la même période en 2024. Avec 76000 cas recensés, ce chiffre continue sa décrue constante depuis le pic de 2023. Comme souvent, les différentes routes ne sont pas égales. Alors que la route des Balkans occidentaux et celle de la Méditerranée orientale ont connu une baisse significative, une hausse est notable en Méditerranée centrale (notamment depuis la Libye – 39% des arrivées en Europe par ce trajet) ainsi que dans le nord de la France vers le Royaume-Uni. La route de l’Atlantique, via les iles Canaries, enregistre une baisse même si la Mauritanie reste un point de départ majeur – une des raisons qui motivent Madrid à vouloir renforcer la coopération avec ce pays, en complément des accords déjà signés l’an dernier.
Grèce :
Malgré ces chiffres plutôt satisfaisants pour Athènes, la Grèce durcit le ton à l’égard des migrants avec de nouvelles mesures à l’étude pour renforcer la dissuasion. Le gouvernement conservateur, par la voix de son ministre en charge des migrations Thanos Plevris, compte réévaluer l’ensemble des prestations sociales versées aux demandeurs d’asile afin de conduire une « réduction drastique » de leur montant. Une autre mesure vise à criminaliser le séjour irrégulier après rejet de la demande d’asile, à hauteur de cinq années de prison (sauf départ volontaire). Plus encore, le Gouvernement s’attaque aussi au terrain symbolique en assumant voulant revoir les menus servis dans les centres d’accueil et de détention pour migrants : « personne ne peut entrer illégalement, demander l’asile et bénéficier d’allocations, de menus trois fois par jour et d’un hébergement, tout cela aux dépens du contribuable grec et européen. Le service des Migrations n’est pas un hôtel. »
Dans le même temps, le Gouvernement décidait de suspendre pour trois mois l’examen des demandes d’asile en provenance d’Afrique du Nord ; avec un objectif clair de reconduire les migrants dans leur pays d’origine. Ce qui inquiète Athènes tient en le nombre de personnes arrivées en Crète en provenance de Libye, un trajet autrefois peu emprunté car plus long et périlleux mais qui se développe : 9000 arrivées en quelques semaines, le double de 2024. A noter que la Grèce avait déjà pris des mesures de sécurité à sa frontière terrestre avec la Turquie en 2020.
Sans surprise, plusieurs ONG rejointes par le Commissaire du Conseil de l’Europe aux droits de l’Homme – Michael O’Flaherty ont exprimé leur indignation devant ce projet de loi ; alors que dans le même temps, la Commission européenne a adopté une attitude plutôt réservée. Sans condamner dès le projet du Gouvernement communiqué, Bruxelles va attendre le passage au Parlement avant de se prononcer sur d’éventuelles atteintes aux droits fondamentaux – un discours minimaliste qui reflète l’évolution des mentalités à la Commission face à l’augmentation croissante des franchissements de frontières sur cette route… mais également au regard de la situation en Libye.
Libye :
La décision des autorités grecques s’inscrit dans un contexte tendu avec la Libye. La veille des annonces, une délégation de l’UE avait dû faire face à un incident diplomatique alors qu’elle se rendait dans la partie de la Libye contrôlée par les rebelles du général Haftar – en lutte contre le gouvernement d’unité nationale (sis à Tripoli) et soutenus, entre autres, par la Russie. Si la rencontre à Tripoli a pu avoir lieu, celle qui devait suivre à Benghazi a vu les européens – dont le commissaire aux affaires intérieures (Magnus Brunner – PPE, Autriche) et des ministres italiens, grecs et maltais – être déclarés persona non grata. La délégation a, en effet, été accusée d’enfreindre la « souveraineté nationale », les protocoles diplomatiques et les procédures d’entrée sur le territoire.
En réalité, cet incident révèle que l’UE en général et la Grèce en particulier ont plusieurs lignes rouges quant au gouvernement dirigé de facto par Haftar. Premièrement, ce dernier est très proche du Kremlin, qui lui fournit des armes, des mercenaires et compte implanter une base navale à Tobrouk. Pensée pour remplacer la perte du port syrien de Tartous, cette possibilité inquiète particulièrement l’Italie – en ce que des missiles pourraient atteindre les côtes européennes. Aussi, comme Moscou, Benghazi est accusé de militariser la migration en incitant les flux vers l’Europe – notamment pour faire pression sur Bruxelles afin que son proto-Etat soit reconnu. Secondement, Athènes s’inquiète que la « Libye-Haftar » puisse ratifier un protocole d’accord présenté par la Turquie (autre soutien de poids) et qui verrait une délimitation des frontières ignorant l’île de Crète. Un risque additionnel était, pour les européens, de s’afficher aux côtés d’officiels d’un gouvernement considéré comme illégitime et non reconnu internationalement
Dans tous les cas, cet incident diplomatique risque de compliquer les efforts de l’UE visant à tarir le flux de migrants en provenance d’Afrique, la première base de départ étant la Libye. Difficile en effet de mettre en place une stratégie crédible en s’accordant avec seulement une moitié du pays – l’Italie se refusant à remettre en cause la coopération avec Benghazi, une position partagée par M. Brunner. En tout cas, Benghazi inquiète également ses voisins en raison de vols réguliers avec la Biélorussie, un Etat notoirement connu pour instrumentaliser les migrations à la frontière polonaise. Athènes, de son côté, appelle par ailleurs l’UE à agir contre la Turquie qui – en étant de plus en plus proche de Haftar – faciliterait tacitement ces flux opérés par la compagnie d’Etat de Minsk, Belavia.
Manche :
Dans le même temps, la France et le Royaume-Uni (RU) ont convenu d’un renforcement de leur coopération en matière de lutte contre l’immigration irrégulière vers le RU. Au cours de la visite d’Etat du Président de la République, effectuée début juillet, les deux pays se sont accordés sur un mécanisme dit « one in, one out ». Cela signifie que, pour chaque migrant entré illégalement sur le territoire britannique et expulsé vers la France, un demandeur d’asile sera envoyé au RU afin d’y voir sa situation étudiée – attendu qu’un faisceau d’indices pertinent sur son cas permettra au préalable de déceler des facteurs favorisant l’accueil de sa demande (connexion familiale par exemple). Comme mentionné dès avril par la presse britannique (et évoqué dans les brèves et dans cette note du CRSI), les forces de l’ordre françaises verront leur doctrine d’action modifiée afin d’adopter des mesures plus proactives pour empêcher les départs. Néanmoins, malgré le caractère assez novateur du projet, celui-ci ne devrait concerner de prime abord qu’une cinquantaine de personnes de chaque côté (pour environ 21000 personnes arrivées au RU depuis le début d’année 2025).
Dans tous les cas, cet accord – souvent évoqué, jamais implémenté – est un symbole fort du dégel actif des tensions entre Paris et Londres, obstruées depuis le Brexit. Il s’agit d’une tentative de moderniser le cadre juridique applicable à la gestion des migrations transmanche, un cadre qui date des accords du Touquet, signés en 2003 et complétés depuis par d’autres textes (dont celui de Sandhurst en 2018). Elles permettent aussi au gouvernement de Keir Starmer, après un an au pouvoir, de donner des gages sur sa politique migratoire alors que le parti Reform UK de Nigel Farage n’a jamais été aussi haut dans l’opinion. Néanmoins, plusieurs pays s’inquiètent de la mise en place d’une telle procédure, craignant un report des difficultés sur les pays méditerranéens, notamment pour les migrants expulsés du RU et renvoyés vers le pays de première entrée en vertu du dispositif « Dublin ». Ils demandent donc à la Commission d’examiner l’accord au regard du Pacte sur l’asile et la migration – ce qu’elle fera avant l’entrée en vigueur du mécanisme.
Copenhague :
Enfin, lors d’un conseil des ministres JAI (Justice et Affaires Intérieures) tenu les 22 et 23 juillet dans la capitale danoise, les sujets migratoires ont été mis sur le haut de la pile, avec notamment un focus porté par la présidence tournante sur les « solutions innovantes ». Celles-ci, défendues par de plus en plus de pays européens souhaitant un durcissement des règles et une refonte du tout-récent Pacte sur l’Asile et la migration, comportent notamment des centres de retours dans des pays tiers, des partenariats divers ou encore l’expulsion de ressortissants afghans. Il reste cependant à surmonter les potentiels obstacles techniques et juridiques ; la présidence danoise parlant d’un « long processus ». Des premiers projets-pilotes avec des pays d’Asie centrale ou de la Corne de l’Afrique ont aussi été évoqués. En outre, les ministres ont discuté d’un raccourcissement du délai de départ volontaire, actuellement de 30 jours, jugé trop long et peu incitatif.
En parallèle, l’Allemagne a donné le ton en expulsant des ressortissants afghans condamnés outre-Rhin vers leur pays d’origine. Pour ce faire, elle a été le premier pays de l’UE à autoriser l’entrée sur son territoire de représentants du régime des Talibans afin de mener à bien ce processus. Berlin évoque même d’autres EM de l’UE intéressés et la possibilité de créer une sorte de « coalition » sur le sujet. Ce changement de ton envers les Talibans suit celui opéré sur la Syrie depuis décembre 2024 ; et confirme la volonté affichée de revenir sur les positions affichées depuis plusieurs années et de pouvoir expulser plus facilement les demandeurs d’asile déboutés.
De manière intéressante, dans le même laps de temps, l’Autriche procédait à l’expulsion d’un ressortissant syrien vers son pays d’origine, une première pour un pays de l’UE depuis près de quinze ans. L’individu en question avait obtenu l’asile en 2014 avant de le perdre en 2019 suite à une condamnation de justice. Cette expulsion marque une étape symbolique alors que, depuis la chute du régime de Bachar el-Assad, de nombreux Etats européens étudient le renvoi de certains de ces demandeurs d’asile arrivés sur leur territoire (100 000 dans le cas de l’Autriche, pays qui a débuté un processus de révocation du statut).
Ce conseil fait suite à une réunion informelle en Allemagne des ministres de l’Intérieur de six EM (FR, DE, AT, PL, DK, CZ) accompagné du Commissaire aux affaires intérieures Magnus Brunner. Il y a notamment été question, déjà, du retour des demandeurs d’asile déboutés (y compris d’Afghanistan) et d’un renforcement du mandat de Frontex. Tenue dans les Alpes allemandes, elle constitue un symbole de l’évolution des pays européens sur la question, et notamment de la part des partis de centre-gauche membres de coalitions au pouvoir outre-Rhin, en Autriche ou en Belgique. Seule l’Espagne, en partie pour des questions de politique intérieure, semble isolée dans son opposition au durcissement migratoire malgré un nombre d’arrivées aux Canaries en hausse depuis trois ans.
Enfin, le 23 juillet, la Fondamental Rights Agency de l’UE (basée à Vienne) a rendu un rapport relatif à la préservation des droits des migrants instrumentalisés par les Etats tiers. Elle s’inquiète de la « militarisation » croissante des frontières et appelle à ne pas faire de la lutte contre cette instrumentalisation un modèle pour « le traitement de tous les migrants et réfugiés traversant la frontière de manière irrégulière ».
La Pologne rétablit des contrôles aux frontières avec l’Allemagne et la Lituanie sur fond de tensions avec Berlin et de préoccupations migratoires
Depuis le 6 juillet, l’espace Schengen compte un onzième pays ayant réintroduit des contrôles aux frontières : la Pologne. Varsovie a en effet indiqué avoir remis en place des patrouilles le long de ses frontières avec l’Allemagne et la Lituanie au moins jusque début octobre. L’objectif principal du gouvernement polonais est de lutter contre l’immigration illégale, un sujet hautement inflammable dans le pays ; alors que l’élection présidentielle tenue début juin a consacré un candidat nationaliste au détriment de la coalition centriste du Premier ministre (et ancien président du Conseil européen) Donald Tusk. Corollaire, le commerce frontalier pâtit de la mesure et ce alors que le pont sur l’Oder a rapidement été considéré comme un symbole de la libre circulation et que la Pologne est considéré comme l’un des pays ayant le plus bénéficié de l’adhésion à l’UE et à l’espace Schengen.
Dans le détail, ces mesures concernent 52 points de passage frontaliers de l’Allemagne et 13 de la Lituanie – qui sont soumis à des contrôles aléatoires sur des véhicules. La raison décisive d’une telle décision est à chercher dans l’évolution allemande en matière migratoire, et notamment la pratique du refoulement à la frontière (voire les articles du CRSI ici et là). Le refus de Berlin de laisser rentrer les demandeurs d’asile sur son territoire avant même l’examen de leur demande conduit ces derniers à rester en Pologne. Concernant la Lituanie, il s’agit ici de contrer le flux de migrants dont l’arrivée est orchestrée par Moscou et Minsk vers la Pologne via les pays baltes.
Malgré sa politique et les critiques qui lui sont adressées, l’Allemagne tente de rassurer et cherche en priorité une solution commune qui satisfasse les deux pays – l’objectif partagé étant d’éviter un « ping-pong » avec les demandeurs d’asile. Néanmoins, les pistes envisagées semblent maigres, Varsovie ayant refusé l’idée de patrouilles communes.
Le gouvernement polonais fait aussi face à des préoccupations de politique intérieure, avec le souci de se montrer ferme et constant sur une thématique-phare de l’opposition nationaliste au Parlement. Plus grave, les autorités tentent de dissuader de potentielles personnes intéressées de rejoindre des milices privées, souvent d’extrême-droite, qui se revendiquent « de défense des frontières ». Le Gouvernement insiste sur leur caractère illégal et perturbateur et incite au contraire chaque citoyen soucieux de l’intégrité de la Pologne à rejoindre le corps de gardes-frontières. Rappelons que Berlin a réintroduit des contrôles aux frontières dès l’automne 2023, illustrant une dynamique à l’œuvre depuis quelques années déjà : le retour de multiples contrôles aux frontières dans un espace Schengen tout juste quadragénaire (voire ici et là les travaux du CRSI).
Un rapport d’Eurojust et de l’ECJN rappelle à posture à adopter face à l’IA en matière de procédure pénale
L’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust, basée à La Haye) et le Réseau judiciaire européen sur la cybercriminalité (EJCN), créé en 2016, ont publié le 2 juillet leur dixième édition annuelle du Cybercrime Judicial Monitor. Ce rapport annuel s’adresse aux autorités judiciaires et policières de l’UE et traite des évolutions législatives, judiciaires et opérationnelles concernant la cybercriminalité au sein de l’Union. L’édition 2025 met particulièrement l’accent sur l’intelligence artificielle, explorant son rôle dual, tant comme instrument criminel que comme ressource pour la justice.
Le document met en avant l’utilisation croissante de l’IA à des fins illégales, notamment pour produire des contenus trompeurs, automatiser des attaques informatiques et créer des logiciels malveillants. Il souligne la responsabilité des développeurs et des utilisateurs de ces technologies lorsqu’elles sont employées à des fins délictuelles et criminelles.
En parallèle, les autorités judiciaires et policières utilisent elles-mêmes de plus en plus souvent l’IA pour traiter de grandes quantités de données, combiner des informations de diverses sources et identifier des comportements suspects. Toutefois, le rapport insiste sur la nécessité de réguler ces usages pour assurer le respect des droits fondamentaux (procès équitable, transparence, traçabilité des processus…). Il recommande aussi un contrôle humain effectif, particulièrement lorsque l’IA est utilisée pour analyser des preuves.
Le rapport attire enfin l’attention sur les risques liés au manque de documentation claire sur le fonctionnement des systèmes d’IA, ce qui peut influencer l’évaluation des preuves et les droits de la défense. Bien que l’admissibilité des preuves soit régie par le droit national, les principes européens doivent être respectés. Assez logiquement, il appelle à renforcer la formation continue des magistrats et à améliorer la coopération judiciaire entre les EM.
La Commission dévoile une feuille de route pour permettre l’accès légal des forces de l’ordre aux données nécessaires dans le cadre de leur métier
La Commission européenne a présenté le 24 juin sa “Feuille de route pour faciliter l’accès légal aux données“, visant à permettre aux autorités judiciaires d’accéder légalement aux données nécessaires pour les enquêtes et poursuites. Elle se place dans le contexte de la stratégie ProtectEU, dévoilée fin mars 2025 (voir la note du CRSI à ce sujet). Un cadre clair est vital car la majorité des infractions (terrorisme, criminalité organisée, abus sexuels…) laissent des traces numériques, à tel point que 85% des enquêtes pénales reposent sur des preuves électroniques. Pour la Commission, il importe donc de moderniser les outils et le cadre juridique afin de donner accès aux données numériques tout en respectant les droits fondamentaux. Ce faisant, la feuille de route se concentre sur six domaines clés.
- Premièrement, concernant la conservation des données de téléphonie et de messagerie, la Commission relancera une étude d’impact en 2025 pour mettre à jour les règles de l’UE. La dernière tentative en la matière s’était soldée par un arrêt – en grande chambre – de la CJUE invalidant la directive (C-293/12, Digital Rights Ireland, 2014). Depuis cette invalidation, les cadres législatifs des États membres sont devenus fragmentés et inégaux, certains n’ayant aucune loi sur la conservation des données.
- Deuxièmement, la Commission étudiera des mesures pour améliorer la coopération transfrontalière en matière d’interception légale des données d’ici 2027 ainsi que pour d’augmenter les échanges d’informations entre Europol et les EM.
- Troisièmement, la Commission et Europol vont analyser les lacunes et les besoins pour soutenir le développement de la criminalistique numérique via des outils financés en partenariat avec le secteur privé. A cette fin, Europol est appelé à devenir un centre d’excellence en la matière.
- Quatrièmement, sur le déchiffrement des communications, la Commission élaborera une “Feuille de route technologique” d’ici 2026, visant à trouver des solutions techniques pour accéder à certaines données cryptées tout en respectant les droits fondamentaux. La Commission soutiendra également le développement de nouvelles technologies de décryptage pour Europol d’ici 2030.
- Cinquièmement, Bruxelles veut revoir la manière de produire la norme en matière de sécurité intérieure, afin de rationaliser le processus.
- Enfin, la Commission veut avancer sur le sujet de l’IA en permettant aux autorités nationales de l’employer pour traiter légalement et de manière efficiente de grands volumes de données tout en analysant plus efficacement les preuves.
Dans le reste de l’actualité européenne :
CJUE : Dans ses conclusions rendues le 10 juillet 2025 (affaires C-722/23 et C-91/24), l’avocat général (AG) Rantos a proposé à la Cour de juger en ce sens qu’un EM peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen en raison de craintes sur les conditions de détention dans l’EM d’émission. Il estime toutefois que l’EM devra exécuter la peine infligée par l’EM d’émission sur son propre territoire, afin d’éviter toute impunité – il propose dès lors de transformer la faculté en obligation.
Par ailleurs, dans ses conclusions publiées le 1er août 2025 (C-313/25 PPU, Adrar), l’AG Spielmann estime que le juge national qui contrôle la légalité de la rétention d’un ressortissant étranger en séjour irrégulier doit s’assurer que le principe de non-refoulement ne s’oppose pas à l’éloignement de l’individu, particulièrement quand le droit à la vie familiale et l’intérêt supérieur de l’enfant entrent en ligne de compte.
Rappelons que l’opinion d’un Avocat général a vocation à éclairer la formation de jugement et n’emporte en elle-même aucun effet juridique propre, pas plus qu’elle ne lie les juges.
CONTROLEUR EUROPEEN DE LA PROTECTION DES DONNEES (CEPD) : D’après Bloomberg, le CEPD a identifié que le Système d’Information Schengen 2 (SIS 2) présentait des milliers de failles de cybersécurité, dont certaines potentiellement graves. Il critique aussi le nombre important d’administrateurs de la base de données ainsi que les failles dans le pilotage du projet (lenteur des corrections, recours à des cabinets de conseil). Le SIS 2 a vocation à être intégré au système entrée/sortie (validé par le Conseil) qui doit se déployer progressivement à partir de la fin 2025 ; et ainsi automatiser l’enregistrement des ressortissants de pays tiers franchissant les frontières de l’UE.
ZONE EURO : La Bulgarie rejoindra officiellement la zone euro le 1er janvier 2026 ; et abandonnera en conséquence sa monnaie nationale, le lev (taux de conversion : 1 euro= 1.95583 lev). Le pays sera le 21ème Etat à rejoindre l’union monétaire, envoyant par là même un message clair. En dépit d’une opinion publique tiraillé entre Bruxelles et Moscou et des craintes sur l’inflation alimentées par le Kremlin, Sofia satisfait aux critères de Maastricht (dette représentant 24% du PIB bulgare – VS 113% en France – 2.7% d’inflation et 3% de déficit). Cette adhésion renforcera le poids économique de la zone euro ainsi que la crédibilité et l’influence de la monnaie unique à l’international
PARLEMENT EUROPEEN : Les eurodéputés ont validé à une large majorité le déploiement progressif du système entrée/sortie, longtemps attendu mais ayant connu des retards. Il a vocation à enregistrer certaines données de ressortissants de pays tiers entrant et sortant de l’UE (nom, document de voyage, heure/lieu d’entrée/sortie ou encore données biométriques). Mis en place à partir d’octobre 2025, il attendra sa pleine capacité 170 jours après – des paliers intermédiaires étant prévus (seuils pour lesquels le Parlement a obtenu gain de cause – voir la brève du CRSI à ce sujet).
COMMISSION : La Commission européenne a proposé des mesures temporaires relatives à la délivrance de visas envers les ressortissants guinéens : suspension de la délivrance de visas à entrées multiples, allongement du délai de traitement ou bien suspension des exemptions aux droits de visa. Bruxelles justifie cette position par les très faibles taux de réadmission enregistrés par la Guinée, avec un taux de retour de ses ressortissants en séjour irrégulier d’à peine 3%. Cette décision intervient alors que les colégislateurs ont acté une réforme des règles de suspension à l’exemption de visas en juin 2025 (voir la brève du CRSI à ce sujet).
Sur un sujet connexe, le prix de la future autorisation de voyage (ETIAS) pour les ressortissants de pays n’ayant pas besoin de visas pour voyager dans l’UE a été fixé à 20 euros (contre 7 actuellement). La Commission justifie cette hausse par des coûts de fonctionnement en hausse, un système technologique plus perfectionné et la volonté de s’aligner sur les autorisations de voyage pratiquées ailleurs dans le monde. Le prix d’ETIAS est en effet similaire à l’ETA britannique (20 livres) et à l’ESTA américain (21 dollars) mais inquiète fortement les professionnels du voyage et du tourisme.
ITALIE : La Cour Constitutionnelle a jugé le 8 juillet 2025 que le décret pris par le Gouvernement pour encadrer de manière plus stricte les activités des navires des ONG en mer était constitutionnel. Ce décret imposait de réaliser un unique sauvetage avant de se diriger vers un port assigné par les autorités. De plus, la détention des navires à quai est jugée légale.
ALLIANCE DES PORTS : Le groupe de contact, formé de 16 ports et lancé sous présidence belge du Conseil, pourrait s’ouvrir à d’autres ports, plus petits. C’est en tout cas le souhait de la présidence danoise alors que le trafic de drogue ne faiblit pas et que la coopération entre les différentes autorités produit des résultats. Cela permettrait aussi de s’adapter aux structures criminelles qui contournent de plus en plus les grandes infrastructures, mieux surveillées, au détriment d’autres, plus faciles à pénétrer. La thématique des attaques hybrides et des cyberattaques est aussi évoquée.