Vidéoprotection et IA : des technologies au service d’une meilleure résilience des territoires

Vidéoprotection et IA : des technologies au service d’une meilleure résilience des territoires
15 septembre 2025 Olivier Debeney

Vidéoprotection et IA : des technologies au service d’une meilleure résilience des territoires :

Par Benoit Fayet, consultant Défense & Sécurité Sopra Steria Next, membre du Comité stratégique du CRSI


A moins d’un an des élections municipales, la sécurité est la 1ère attente des français vis-à-vis de leur municipalité et un enjeu « important » pour plus de 60% des maires. Ces données illustrent la transition de la thématique de la sécurité, autrefois résolument régalienne et étatique, devenue désormais un enjeu local. Face à ce constat et dans un contexte budgétaire contraint, les territoires s’engagent fortement et doivent encore plus se renforcer, en conjuguant moyens humains, physiques et technologiques. 

D’autant qu’à ces enjeux de sécurité s’ajoutent désormais pour les collectivités territoriales, et comme constaté durant cet été, d’autres risques notamment climatiques et naturels (inondation, incendie, …), impliquant une forte évolution de l’écosystème local de la sécurité. 

A cet égard, l’IA représente une opportunité pour les territoires pour assurer leur résilience, en s’appuyant notamment sur les outils existants, comme la vidéoprotection.

Une « mise en données » de l’espace public dans les territoires 

En septembre 2018, le rapport « Fauvergue – Thourot » consacrait la notion de continuum de sécurité. Ce concept, mis en œuvre depuis dans plusieurs lois, signifie que l’Etat appelle les collectivités territoriales à s’engager dans la réponse à apporter à une meilleure sécurité du quotidien. Cette logique de coopération a notamment permis de fortifier les relations entre les forces de sécurité intérieure dites « étatiques » (police et gendarmerie nationales), les forces de secours (pompiers,…) et les polices municipales, dont les effectifs sont en forte croissance (28 000 agents en 2025). 

En parallèle, la révolution digitale a entrainé ces dernières années une « mise en données » des territoires. Les villes produisent désormais des flux importants de données, par le biais de canaux toujours plus nombreux (services en ligne à la population, applications citoyennes, caméras de vidéoprotection,…). C’est à l’interface de la coopération voulue par le continuum de sécurité, et de la technologie dans des territoires appelés parfois « intelligents » ou « connectés », que réside la solution d’un territoire sûr pour ses citoyens.


L’avènement de la vidéoprotection dans les territoires

L’exemple de la vidéoprotection illustre l’apport de la technologie pour la sécurité d’un territoire. La vidéoprotection est devenue un outil incontournable pour les collectivités territoriales et très apprécié de la population (87 % des Français sont favorables à l’utilisation de la vidéoprotection dans l’espace public). En 2024, plus de 6 000 communes en France sont ainsi équipées de caméras (soit +20% en 10 ans). Ce succès s’explique par l’efficacité de la vidéoprotection pour la verbalisation (détection de déchets ou d’objets abandonnés, traitement d’infractions routières ou de stationnement, etc.) et pour l’aide, désormais indispensable, apportée à l’élucidation de faits et enfin pour l’optimisation de la présence des policiers municipaux sur le terrain en tant que police de proximité (ilotage, …). Enfin, elle permet d’anticiper des évènements à l’ère du changement climatique (inondation, incendie, …), d’obtenir une connaissance plus fine d’une situation et de piloter plus efficacement des opérations par exemple lors d’une manifestation (sportive, culturelle, populaire, …).

Toutefois, ce développement spectaculaire de la vidéoprotection masque certaines limites actuelles. Les dispositifs reposent essentiellement sur une supervision humaine d’agents territoriaux assermentés dans des centres de supervision urbain (CSU), efficace mais forcément limitée, un opérateur ne pouvant avoir en permanence les yeux derrière chaque écran. De même, une des limites est la non-exploitation d’une manne d’autres capteurs présents, comme évoqué auparavant.


La vidéoprotection augmentée, des gains opérationnels grâce à l’IA 

Ainsi, ces limites peuvent être traitées par de la vidéoprotection algorithmique ou appelée aussi augmentée qui consiste en l’installation et l’utilisation de logiciels d’IA, analysant les images des caméras de vidéoprotection afin de repérer et identifier des situations, des objets ou des personnes.  L’enjeu est de mieux analyser et interpréter des données et en grande quantité. Ces logiciels sont notamment basés sur des algorithmes, permettant d’isoler des informations spécifiques à partir d’images fixes ou de vidéos. Il est ainsi estimé qu’un opérateur d’un CSU, au bout d’une heure d’observation d’images ou de vidéos en temps réel, perd de sa vigilance et potentiellement 50% des évènements peuvent lui échapper.

Les développements génératifs de l’IA peuvent apporter beaucoup avec une capacité à exploiter des images en grande quantité avec des données hétérogènes. Ces solutions peuvent permettre d’appuyer l’analyse d’images issues d’un CSU et identifier ainsi des images d’intérêt (détection de véhicules, de personnes, …). L’IA permet ainsi une plus grande vigilance dans l’observation d’images de vidéoprotection, une meilleure efficacité et une accélération de la réponse à apporter à des situations données (incendie, inondation, rixe, rassemblement type point de deal, …). Ainsi, des alertes en temps réel, qui permettent de repérer, dans une grande quantité de flux vidéo, des événements que le logiciel relève de manière automatique et en notifie les agents du CSU, qui gardent le contrôle in fine et la prise de décision. A terme, un opérateur d’un centre de supervision ou un policier municipal pourrait ainsi avec des systèmes d’IA ne plus regarder de flux en temps réel mais se concentrer sur de la levée de doutes, de l’analyse et de la prise de décision.  

La vidéoprotection augmentée peut aussi être utilisée, en temps différé, pour automatiser des recherches dans des flux vidéo (requêtes de reconnaissance d’image afin de faire remonter l’ensemble des passages des vidéo correspondant à des critères définis, …). La vidéoprotection augmentée peut également raccourcir le temps de visionnage en condensant des heures ou jours de vidéos. Le rôle de la vidéoprotection augmentée dans cet usage est de sélectionner automatiquement les passages demandés et de masquer ou omettre le reste du flux vidéo.

En plus de l’apport sur ce volet de sécurité au quotidien et dans un contexte critique de changement climatique, la vidéoprotection augmentée peut aussi permettre de mieux gérer les situations de crise, anticiper les menaces (incendie, inondation, …) et in fine décider, agir ou intervenir plus rapidement. L’été 2025 a été marqué par des incendies débordant en zones péri-urbaine et urbaine, la vidéoprotection augmentée est un levier pour détecter plus rapidement des départs de feux ou d’incendies, dans une logique de captation précoce (signaux prédéterminés type émanations de gaz, …) ou de détection en temps réel avec alerte instantanée. Cela vaut également pour la surveillance des cours d’eau (en cas d’inondation ou de pollution), l’IA pouvant en outre capitaliser sur les évènements passés et dans une logique de rejeu, détecter en amont des points d’alerte. La vidéoprotection augmentée peut permettre aussi de repérer en temps réel des véhicules ou des individus présents dans des zones interdites, parce que dangereuses et d’émettre des alertes à des agents ou directement à destination des individus (proximité d’un cours d’eau, présence dans une zone à risque incendie, …). Enfin, le pilotage des forces de sécurité ou de secours et de leurs équipements (véhicules, …) intervenant sur une crise peut aussi être amélioré par de la vidéoprotection augmentée. De même, l’IA peut aussi permettre d’exploiter l’ensemble des capteurs présents dans les territoires, dans une logique d’hypervision et de sécurité globale en cas de survenance d’une situation de crise.


La vidéoprotection augmentée expérimentée lors des JO Paris 2024, dans un périmètre limité

La vidéoprotection augmentée a été autorisée à titre expérimental par la loi du 19 mai 2023, principalement pour les JO Paris 2024. Cette expérimentation concernait un nombre limité d’utilisateurs (police nationale, gendarmerie nationale, polices municipales, forces de secours …) et visait à détecter des situations sur des cas d’usage très restreints (8 situations identifiées).

Selon le rapport d’évaluation de cette expérimentation réalisée par le ministère de l’Intérieur, l’usage de la vidéoprotection augmentée a démontré un réel intérêt opérationnel mais également des limites liées à des performances techniques inégales et parfois décevantes selon les usages d’une part et la nécessité de définir les bonnes situations et disposer des bons paramétrages d’autre part. Le rapport souligne aussi la réussite de l’approche intégrée à la fois éthique, juridique et technologique qui a permis de sécuriser en amont le cadre de l’expérimentation et appréhender l’importance des données manipulées, en termes de sécurité informatique, de transparence et d’information de la population. 

Le rapport relève que si la technologie employée séduit les forces de sécurité, elle a en effet montré ses limites sur plusieurs cas d’usage et doit être améliorée, notamment sur la détection d’objets abandonnés ou sur un nombre important d’erreurs de détection liées à des faux positifs. Ainsi, l’identification préalable des bons cas d’usage, la mise en place de phases d’entrainement prenant en compte l’ensemble des conditions réelles pour une efficacité des dispositifs employés (positionnement des caméras, paramétrage selon l’éclairage ou la luminosité) sont indispensables.

Enfin, des cas d’usage ont révélé un intérêt opérationnel réel comme les dispositifs d’alerte qui ont permis de concentrer l’attention des forces de sécurité sur des faits suspects qui n’auraient pas été repérés sans l’IA, le contrôle de zones pour identifier une présence interdite ou couvrir toute une zone considérée en lieu et place d’une mobilisation importante d’agents sur le terrain, l’intégration de l’IA dans les salles de commandement qui apporte une complémentarité aux images issues de la vidéoprotection. 


Aujourd’hui, un flou juridique préjudiciable et un cadre à sécuriser 

Or, à ce stade la vidéoprotection augmentée n’est plus autorisée. En effet, la prorogation de l’expérimentation, portée par la loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports, a été censurée par le Conseil constitutionnel en avril 2025. Toutefois, un projet de loi relatif à l’organisation des JO d’hiver 2030 a été présenté en conseil des ministres en mai 2025 et voté par la commission des Lois du Sénat, avec plusieurs mesures en matière de sécurité, dont une reconduction de l’utilisation de la vidéoprotection augmentée. Ce projet de loi doit encore passer devant l’Assemblée nationale pour une adoption définitive souhaitée d’ici fin 2025, dans le contexte politique incertain du moment.

Au regard des apports opérationnels de l’IA et des besoins des collectivités territoriales, il semble nécessaire d’avancer sur un cadre législatif structurant, au-delà d’une nouvelle « expérimentation JO » via  une proposition de loi, permettant de se projeter vers une sécurisation juridique et un cadre pérenne sur des cas d’usage étendus à la hauteur des enjeux sécuritaires des territoires, des crises à répétition (violences urbaines, …) mais aussi des nouvelles menaces liées au changement climatique qui vont aller en s’amplifiant (inondation, incendie, …).

Les attentes des français à ce sujet sont clairs, l’IA dispose d’une bonne acceptation comme la vidéoprotection, 65 % des Français considérant en effet l’IA comme un outil utile pour les forces de sécurité, 63 % des Français se disant même favorables à la généralisation de la vidéoprotection augmentée, démontrant ainsi une forte adhésion.