– Par le Colonel Jean-Paul Bosland, Président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et de l’Œuvre des Pupilles orphelins et fonds d’entraide des sapeurs-pompiers de France
Troisième composante de la sécurité intérieure, la sécurité civile est confrontée à un puissant enjeu de modernisation destiné à adapter le modèle français aux nouvelles menaces susceptibles d’affecter les populations. Outre les enjeux sécuritaires globaux que sont le retour de la guerre en Europe, la persistance du terrorisme de masse et la recrudescence des crises hybrides, les forces de sécurité civile sont confrontées aux défis propres que constituent principalement la désertification médicale, le vieillissement démographique, et le dérèglement climatique.
Principaux acteurs de la sécurité civile, les sapeurs-pompiers sont au cœur de ces défis. Historiques soldats du feu, ils sont aussi devenus aujourd’hui des soldats de la santé avec l’explosion de leur activité de secours et de soins d’urgence aux personnes (SSUAP), laquelle représente en moyenne 86% des interventions. Cette inflation du SSUAP constitue la cause principale de l’augmentation de la pression opérationnelle (+ 17% en 10 ans) et met sous tension les unités, les matériels et les budgets. Cette sur sollicitation repose sur deux causes principales, auxquelles il appartient de remédier pour garantir la viabilité de notre modèle de secours.
En premier lieu, la multiplication du recours aux sapeurs-pompiers pour des demandes non-urgentes d’assistance aux personnes (transport sanitaire, relevage, téléalarme…) par carence des acteurs privés normalement compétents produit chez les sapeurs-pompiers -volontaires pour 80% d’entre eux- une perte de sens de leurs missions, une démotivation et des tensions avec leurs employeurs pour la gestion de leur disponibilité.
En second lieu, la crise de la permanence des soins, l’éloignement des hôpitaux des territoires et l’asphyxie des urgences génèrent une augmentation continue des temps de transport et d’attente, qui consume les ressources des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et affaiblit leur potentiel de réponse à l’urgence. Afin d’inverser cette tendance, il est indispensable de rompre avec l’organisation actuelle des urgences pré hospitalières, éclatée entre les agences régionales de santé et les préfets et qui confère un droit de tirage illimité aux acteurs de la santé sur les sapeurs-pompiers sans compensation financière pour les collectivités territoriales, pour unifier leur pilotage sous l’autorité des préfets de département. Ces derniers devront pouvoir disposer dans chaque département d’une plateforme de réponse aux appels d’urgence permettant d’accroître la coopération interservices (pompiers, SAMU, ambulanciers, associations agréées de sécurité civile), d’améliorer la gestion de l’alerte et de dimensionner la réponse (délai, vecteur, équipage) selon le caractère urgent ou non de la demande. Il s’agit là de généraliser par la loi dans un délai raisonnable les plateformes qui ont démontré leur efficacité dans de nombreux pays européens et dans 21 départements français, et qui sont en projet dans 15 autres. En outre, les SDIS, forts de leur chaîne de réponse intégrée de niveau secouriste, infirmier et médical, doivent avoir la liberté de gérer les orientations de proximité à travers des bilans simplifiés, les départs différés et le recours aux associations agréées de sécurité civile en cas d’appel non-urgent.
Soldats du feu et de la santé, les sapeurs-pompiers sont aujourd’hui aussi des soldats du climat, du fait de leur implication en première ligne dans la prévention et la lutte contre les effets du dérèglement climatique : sécheresses, canicules, feux de forêts et d’espaces naturels, tempêtes, inondations, épisodes méditerranéens, cyclones…Hier exceptionnels, ces événements, aujourd’hui de plus en plus fréquents et intenses, affectent l’ensemble de l’Hexagone et de nos territoires ultramarins. Ils exigent donc, là encore, d’anticiper et de consolider toutes les composantes du continuum de sécurité civile. Cet effort d’adaptation implique de renforcer à la fois la résilience de la société par une meilleure formation des citoyens et des élus à la gestion des risques et des crises, la coordination territoriale et nationale des acteurs autour des professionnels du secours, ainsi que les moyens capacitaires en accroissant les effectifs de sapeurs-pompiers, volontaires et professionnels, et en modernisant leurs équipements grâce aux apports de l’innovation : intelligence artificielle, drones, robots, flotte souveraine d’avions bombardiers d’eau.
Un tel effort implique un engagement budgétaire accru de l’État dans le renouvellement des moyens nationaux et dans le soutien à l’investissement des SDIS à travers la pérennisation des pactes capacitaires mis en place après les feux de forêts de 2022. Tout comme il requiert de réviser sans plus attendre le financement des SDIS, unanimement reconnu comme obsolète et à bout de souffle, pour doter les départements de ressources robustes et dynamiques, qu’elles proviennent des assurances, de l’activité touristique ou des métropoles.
Mises en exergue par le récent Beauvau de la sécurité civile, ces axes de réforme doivent, malgré les difficultés politiques et financières, alimenter rapidement une loi de modernisation très attendue par les acteurs du secours pour adapter la protection des populations aux défis et menaces du XXIème siècle et pour faire véritablement de la sécurité civile une politique publique structurante de notre sécurité nationale.
Col. Jean-Paul Bosland