– Note du CRSI Sud-Est
La densité médicale – souvent présentée comme le nombre de médecins pour 100 000 habitants – donne l’impression rassurante d’une France correctement dotée. Avec 339 médecins pour 100 000 habitants en 2023, le pays semble bien équipé. Mais ce chiffre global, en hausse par rapport à 2019 (318), dissimule des réalités beaucoup plus contrastées. Il inclut en effet l’ensemble des praticiens, hospitaliers comme libéraux, alors que 40 % exercent à l’hôpital, principalement dans les grandes métropoles. Dès qu’on se concentre sur ceux que la population consulte en premier recours – les médecins libéraux –, la densité tombe à 217 pour 100 000 habitants, et même 146 pour les généralistes. C’est là que les disparités territoriales apparaissent.
Des inégalités marquées entre territoires
La densité médicale varie du simple au double selon les départements. Les zones rurales et montagneuses (Creuse, Hautes-Alpes…) peinent à attirer des médecins, en raison de l’isolement géographique et d’un bassin de patientèle dispersé. À l’inverse, les départements urbains ou touristiques comme les Alpes-Maritimes ou le Val-de-Marne affichent des densités élevées, dopées par les hôpitaux et les pôles universitaires. Mais même dans ces territoires attractifs, les libéraux restent moins nombreux qu’il n’y paraît : 190 pour 100 000 habitants dans les Alpes-Maritimes, contre 163 dans les Alpes-de-Haute-Provence.
Selon l’Atlas démographique du CNOM (2023), 20 % des communes françaises – environ 6 000 – sont classées en désert médical, c’est-à-dire en dessous de 120 généralistes libéraux pour 100 000 habitants ou à plus de 30 minutes du cabinet le plus proche. Et ce phénomène ne touche plus seulement la France périphérique : il gagne les centres urbains sensibles, où l’insécurité freine l’installation.
PACA : une région dense en apparence, fissurée en profondeur
La région Provence-Alpes-Côte d’Azur offre une illustration parfaite de ce paradoxe. Avec 409 médecins pour 100 000 habitants en 2023, elle figure parmi les régions les mieux dotées, grâce à son attractivité touristique et universitaire. Mais si l’on s’intéresse aux libéraux, la densité chute à 340, dont 169 généralistes. Les écarts internes sont considérables :
| Département | Densité totale | Libéraux / 100k hab. |
|---|---|---|
| Alpes-Maritimes (06) | 520 | 190 |
| Bouches-du-Rhône (13) | 421 | 172 |
| Var (83) | 394 | 164 |
| Vaucluse (84) | 360 | 160 |
| Hautes-Alpes (05) | 312 | 158 |
| Alpes-de-Haute-Provence (04) | 298 | 163 |
On observe jusqu’à 74 % d’écart d’un département à l’autre. Selon l’ARS (2023), 60 % des déserts médicaux régionaux se situent dans les zones alpines et l’arrière-pays varois, où le temps d’accès à un médecin dépasse régulièrement 45 minutes.
Les nouveaux déserts : au cœur des villes
Les grandes villes PACA affichent des densités globales flatteuses (Nice 540, Marseille 520, Toulon 430). Mais en termes de libéraux :
- Marseille : 180
- Toulon : 172
- Nice : 190
Et dans certains quartiers sensibles, la densité chute sous 120 médecins libéraux pour 100 000 habitants, comme aux Quatre-Cents à Marseille (112), dans les cités nord-est de Toulon (115) ou à l’Ariane à Nice (118) : moins qu’à Brignoles, petite commune rurale du Var (155).
La raison majeure ? L’insécurité.
Entre 2021 et 2023, 127 agressions de médecins libéraux ont été recensées par le CNOM, dont 73 % en zone urbaine, touchant majoritairement des femmes (61 %). Or celles-ci représentent désormais 52 % des médecins en activité et 60 % des jeunes diplômés (DREES 2024). 68 % des femmes médecins de moins de 35 ans refusent l’exercice isolé en zone sensible.
Résultat : les cabinets ferment, les urgences se saturent. À l’hôpital de La Timone (Marseille), 42 % des admissions relèvent de pathologies non urgentes, contre 28 % en moyenne nationale. À Nice-Saint-Roch, la surcharge grimpe à +30 % l’été, et jusqu’à 60 % de consultations qui auraient dû relever du secteur libéral. Cette mauvaise orientation génère selon l’Observatoire régional de la santé une surmortalité évitable estimée à 5 % dans les zones sous-dotées.
Conclusion : un indicateur à manier avec prudence
La densité médicale nationale masque des écarts profonds entre territoires, avec des déserts médicaux ruraux mais aussi urbains, souvent aggravés par l’insécurité. Pour inverser la tendance, un changement d’échelle est nécessaire : un choc d’autorité et d’attractivité permettant d’assurer la sécurité des praticiens, de favoriser l’installation en zone sensible et de renforcer les alternatives (maisons de santé, télémédecine, incitations fiscales, assistanat médical).
À défaut, la fracture sanitaire risque de se creuser et les populations les plus fragiles continueront à subir la pénurie médicale.
Références : DREES 2024 ; CNOM Atlas 2023 ; ARS PACA 2023 ; Insee 2023.