Causeur : la gravité du fait politique islamiste en France est fortement sous-estimée (Interview de Thibault de Montbrial)

Causeur : la gravité du fait politique islamiste en France est fortement sous-estimée (Interview de Thibault de Montbrial)
3 janvier 2020 pierre
TDM

L’avocat Thibault de Montbrial, président du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure, sonne le tocsin. Cinq ans après Charlie, la menace djihadiste a muté sur notre sol. Si notre droit s’est adapté, l’Etat et certains magistrats manifestent d’inquiétantes défaillances.


Causeur. Quel est le niveau de la menace terroriste djihadiste cinq ans après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher ?

Thibault de Montbrial. La menace est très élevée – beaucoup plus que ce que pense la majeure partie de la population. Pour résumer, on peut schématiquement distinguer trois phases de l’évolution du terrorisme depuis 2015. La première, celle des commandos projetés depuis la Syrie, de 2015 au premier semestre 2016, s’est soldée par le bilan le plus terrible. Il y a eu le commando envoyé par Abdelhamid Abaaoud qui commence par le Thalys, le 21 août 2015, poursuit par le 13-Novembre – où il ne commet qu’une partie des attaques prévues – et se termine à Bruxelles le 22 mars 2016. Ce groupe devait poursuivre son action jusqu’à l’Euro 2016, mais la police belge lui a mis la pression, précipitant son action. D’après la cousine d’Abaaoud, les membres du commando étaient au nombre de 90 à leur entrée en Europe. Était-ce du bluff ou un chiffre crédible ? Personne ne le sait vraiment, mais si ce chiffre était avéré, cela laisserait plusieurs dizaines d’agents dormants de Daech dans la nature. Il faut aussi se souvenir qu’un attentat potentiellement pire que celui du 13 novembre a été évité avant l’Euro 2016 grâce au démantèlement de la cellule dite Reda Kriket à Argenteuil, cellule qui avait des ramifications jusqu’aux Pays-Bas.

Certes, mais désormais, Daech, privé de base arrière, n’a plus la capacité de commanditer des attentats…

Nous vivons aujourd’hui une deuxième phase qui a commencé à l’été 2016, avec le recul militaire de l’État islamique en Irak et en Syrie : le « terrorisme endogène », caractérisé par des actes individuels réalisés avec des moyens rustiques. Magnanville, Saint-Étienne-du-Rouvray, l’attentat raté aux bombonnes de gaz de Notre-Dame ont été perpétrés par des gens en contact avec Rachid Kassim (depuis la Syrie), qui se fréquentaient et se mariaient même entre eux. Les actes terroristes qui en résultent sont rudimentaires. Ces micro-attaques qui ont pour but de mettre la société sous tension, de l’user, continuent de causer ponctuellement de nombreuses victimes (Trèbes, Carcassonne, Strasbourg) et peuvent frapper le cœur de nos institutions, comme à la préfecture de Police.

La justice est d’abord passée à côté de la gravité du djihad en Syrie

La troisième phase qui va s’ouvrir sera celle du « terrorisme endogène structuré », qui risque sur la durée d’être pire que le terrorisme projeté de l’année 2015.

La France a déjà affronté et démantelé ce genre de réseau, notamment en 1996 avec le gang de Roubaix. Pourquoi cela serait-il plus difficile cette fois ?…

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