Thibault de Montbrial : “Emmanuel Macron doit réduire les fractures qui traversent notre société”

Thibault de Montbrial : “Emmanuel Macron doit réduire les fractures qui traversent notre société”
16 janvier 2018 pierre
Thibault de Montbrial

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Gardiens de prison agressés, policiers lynchés, territoires occupés… L’avocat Thibault de Montbrial s’inquiète de la multiplication des tensions, qui laissent redouter une explosion de la violence.

FIGAROVOX.- Les gardiens de prison mènent des actions partout en France à la suite de l’agression de quatre des leurs à Vendin-le-Vieil, et sept encore à Mont-de-Marsan hier… Quelles solutions pour faire face à la radicalisation des détenus?

Thibault de Montbrial.- Je fais en effet le constat que depuis quelques années, une crise de sécurité est à craindre dans les prisons. Celle-ci tient principalement à deux facteurs: la surpopulation carcérale, et la présence d’un nombre toujours plus grand d’islamistes. Les pouvoirs publics en sont conscients, puisqu’ils ont créé l’an dernier un Bureau central du renseignement pénitentiaire. C’est déjà un progrès, mais il faut aller beaucoup plus loin: pour commencer, il faut évidemment construire des places de prison supplémentaires, car la population carcérale dépasse largement nos capacités d’accueil, et dans l’avenir nous ne pouvons qu’anticiper une hausse du nombre de détenus. Mais construire ne suffira pas: il faut aussi mieux penser la détention, en plaçant les détenus en fonction de la nature des infractions commises. Les moins dangereux d’entre eux, par exemple ceux condamnés pour de la délinquance non-violente, de la récidive routière ou des délits financiers par exemple, pourraient être accueillis dans des centres pénitentiaires à l’architecture moins lourde et nécessitant des dispositifs de sécurité allégés. Cela permettrait à l’administration pénitentiaire de concentrer ses moyens sur les prisonniers les plus violents. Cette mesure commence tout juste à être envisagée par les politiques (Valérie Pécresse y a fait allusion ce matin), alors qu’elle me paraît être d’une nécessité vitale: si l’on ne fait rien, tôt ou tard, nous aurons à faire face à une mutinerie sanglante dans l’une ou l’autre de nos prisons.

Pensez-vous que l’installation de téléphones fixes dans chaque cellule, comme cela a été annoncé, soit une bonne idée?

L’idée est intéressante mais à plusieurs conditions: que les conversations des prisonniers puissent être écoutées par l’administration, que les détenus ne puissent appeler qu’un nombre restreint de numéros préenregistrés et que l’on fixe une durée maximale quotidienne d’appels. Le téléphone peut maintenir le lien entre les détenus et leurs familles, et ainsi créer une soupape de sécurité pour éviter que des détenus ne cèdent au désespoir (suicide) ou aux sirènes de la radicalisation.

La police est désormais considérée comme une bande rivale, à l’encontre de laquelle tous les coups sont permis.

Les agressions contre la police continuent également de se multiplier, comme au soir du 31 décembre à Champigny-sur-Marne. Selon vous, quels sont les responsables de ce regain de violences contre les forces de l’ordre?

Ces violences contre la police n’ont rien de nouveau, mais je constate une évolution qui nous entraîne vers le pire. La gravité de ces violences est elle-même en constante augmentation: à Champigny, ce qui s’est produit est tout de même un lynchage! La police est désormais considérée comme une bande rivale, à l’encontre de laquelle tous les coups sont permis. On ne peut pas rejeter sans cesse la responsabilité sur le contexte de misère sociale dans laquelle vivent les agresseurs: il faut certes continuer de mener des politiques sociales, mais cela ne suffira pas à enrayer cette logique de violence. Car enfin, ayons le courage de nommer la réalité: les groupes qui s’en prennent à nos policiers sont des bandes ethnico-territoriales, qui cherchent à protéger leur zone pour deux raisons: continuer de faire prospérer leurs trafics, et maintenir une logique communautaire dictée par un islam radical. Il règne dans ces zones une haine du flic, qui est le ciment d’une triple identité, à la fois territoriale, ethnique et religieuse. La quasi-totalité de mes nombreux interlocuteurs dans l’univers de la sécurité intérieure s’accordent à dire qu’il viendra un jour où la situation finira par échapper au contrôle des forces de l’ordre: ce jour-là, seule l’armée sera encore en mesure d’intervenir pour restaurer l’ordre républicain. C’est un scénario concret qui est déjà envisagé au sein de certaines administrations, même si l’on comprend que personne ne rentre publiquement dans le détail.

Êtes-vous favorable à l’instauration de peines planchers pour les agresseurs de policiers?

À mon avis, cette mesure est secondaire face au problème que nous évoquons. Les peines planchers sont certes nécessaires, mais la justice vient toujours après la violence, or c’est d’abord au moment des faits que nous devons être capables de réagir. Il faut commencer par muscler la riposte des forces de l’ordre. Lorsqu’ils sont pris pour cible, nos policiers font preuve d’une remarquable retenue dans l’usage de la force: même à Champigny, ils n’ont pas fait usage de leur arme de service alors qu’ils en avaient pourtant le droit, puisqu’ils étaient menacés dans leur intégrité physique. D’eux-mêmes, les policiers ont souvent tendance à rajouter un échelon supplémentaire dans la gradation de la riposte: je pense aux tirs de sommation, qui ne sont pas prévus par la loi, et qui ont augmenté de 89 %. Il faut rappeler à nos policiers et nos gendarmes qu’ils n’ont pas vocation à servir de punching-ball aux hordes qui s’en prennent à eux. Alors oui, je suis favorable à l’instauration de peines planchers, mais je crois surtout que la priorité doit être le rétablissement de la continuité de l’ordre républicain dans certains quartiers. Pour cela, il faut commencer par ne pas désarmer nos forces de sécurité. Quand le Défenseurs des droits Jacques Toubon, dans un rapport remis aux députés, préconise l’interdiction des Flash-Ball ou des grenades de désencerclement, je trouve cette position tout simplement hors-sol.

Une personne qui entre illégalement en Europe a 96 % de chances de pouvoir y rester.

Emmanuel Macron est aujourd’hui en visite à Calais. Êtes-vous convaincu par sa politique migratoire?

Je trouve sa politique courageuse et réaliste. Mais je me demande s’il réussira à résister à la pression exercée par l’aile gauche de LREM. Selon moi, la priorité doit être l’expulsion des clandestins déboutés du droit d’asile, dont seuls 4 % quittent effectivement le territoire une fois leur demande rejetée. Ce qui signifie qu’une personne qui entre illégalement en Europe a 96 % de chances de pouvoir y rester ; or notre politique d’accueil n’a de sens que si l’éloignement du territoire, une fois prononcé, est effectivement mis en œuvre. D’autant plus que les personnes qui se maintiennent sur le territoire en situation irrégulière finissent généralement par acquérir des droits progressifs, qui conduisent souvent à l’obtention de la nationalité après quelques années. Je suis donc favorable à ce que les déboutés du droit d’asile se voient interdire définitivement l’obtention de la nationalité.

Le Figaro révèle aujourd’hui dans un sondage portant sur les préoccupations des Français que 43 % de nos concitoyens placent la lutte contre l’immigration et le terrorisme en tête des priorités. Quelle action du gouvernement attendez-vous sur ces questions?

Tous les attentats commis sur notre territoire depuis 2014 sont le fait d’hommes musulmans, et la quasi-totalité des terroristes islamistes sont issus de l’immigration. Ce qui est vrai du terrorisme l’est aussi d’une partie importante de la délinquance, et les Français le voient, même si on les somme de ne pas le penser. Agir sur l’immigration est donc indispensable. Il faut aussi revoir le fonctionnement de notre système judiciaire, en renforçant l’autorité et en particulier la sévérité à l’égard de la délinquance dure. Il est inacceptable que des multirécidivistes potentiellement dangereux soient toujours dans nos rues et non derrière les barreaux, en particulier pour des raisons liées à l’application des peines.

Nos services de renseignement ont, eux, déjà accompli un travail remarquable, que je tiens à saluer: nous savons que de nombreux attentats ont pu être déjoués grâce à eux. Mais il faut se préparer à une intensification de la menace: de nombreux djihadistes francophones ont quitté la Syrie, et certains vont inéluctablement revenir en France. Ils n’auront aucune difficulté à y séduire une jeunesse qui développe déjà un discours de haine à l’égard de notre pays. Ils importeront des méthodes de guérilla auxquelles nos forces de sécurité se préparent déjà à faire face. Il faut donc se préparer à de nouvelles formes d’attentats, plus violents encore. Les perspectives sont sombres, donc, mais le président semble en saisir la mesure, lui qui a toujours nommé l’ennemi («terrorisme islamiste»), contrairement à son prédécesseur. En revanche, je suis davantage préoccupé par l’ambiguïté qui demeure sur la question de l’islam politique, qui se développe à une vitesse inquiétante (qu’on en juge à la multiplication des revendications communautaires, du prosélytisme religieux et du port de signes ostentatoires d’appartenance à l’islam). Or il faut rester inflexible face à ces revendications: en réalité, le communautarisme et le terrorisme proposent deux voies différentes vers le même but: le triomphe d’un islam politique. Le gouvernement ne peut avoir la moindre tolérance envers les partisans de cet islam politique, ni avec ses idiots utiles et a fortiori ses complices.

Le communautarisme et le terrorisme proposent deux voies différentes vers le même but : le triomphe d’un islam politique.

Pensez-vous enfin que, bien qu’en bonne partie absentes de sa campagne, les questions régaliennes (sécurité, immigration) vont constituer le cœur du quinquennat d’Emmanuel Macron?

Au cours de la campagne, le souffle et l’énergie du candidat Macron ont permis de concentrer sur sa personne un désir de rupture ressenti et exprimé par les Français. Des trois candidats qui pouvaient incarner cette rupture (avec Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen), Macron s’est révélé être le plus mesuré dans ses propositions. Mais aujourd’hui qu’il est président, la réalité semble l’avoir rattrapé. La situation de notre pays est celle d’une société soumise à un nombre toujours grandissant de tensions intérieures: on ressent ces tensions dans nos banlieues, en proie à une violence quotidienne, mais aussi dans les revendications communautaires qui ont même créé à gauche un clivage très dur entre la ligne islamo-gauchiste d’un Edwy Plenel et les défenseurs de la laïcité autour de Manuel Valls. Par ailleurs, les services de renseignement craignent aujourd’hui une résurgence d’un terrorisme d’extrême-gauche qu’on n’a plus connu depuis les crimes commis par Action directe dans les années 1980. Quant aux ZAD, il s’agit de territoires dont la reconquête s’annonce plus que problématique, à commencer par celle de Notre-Dame-des-Landes. Et les crispations concernent bien d’autres réalités encore: la virulence des tribunes par lesquelles s’écharpent depuis peu divers camps au sein des mouvances féministes, dans un contexte où la violence à l’égard des hommes s’est déchaînée à la suite de #BalanceTonPorc, en est encore une illustration. Cette tension se ressent à tous les niveaux dans notre société: un cardiologue m’a même confié qu’en 30 ans de métier, il n’avait jamais enregistré autant de maladies cardiaques liées au stress que ces derniers mois! À mon sens, l’enjeu prioritaire du quinquennat, c’est de faire baisser cette tension en réduisant les fractures au sein de notre société sans pour autant transiger avec les valeurs de notre République. À défaut, personne ne peut exclure le risque d’une explosion de grande violence… y compris à court terme.

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