Valeurs actuelles : “15 000 fichés S pour radicalisation”

Valeurs actuelles : “15 000 fichés S pour radicalisation”
2 juillet 2017 pierre
Radicalisation - Sécurité Intérieure

Carte de France localisant les 11 820 personnes signalisées pour radicalisation.
Source © Ministère de l’Intérieur.

Alors que Gérard Collomb présente un projet de loi phare de lutte contre le terrorisme, la réalité dont le ministre de l’Intérieur a conscience le montre : l’extrémisme islamiste n’est pas près de disparaître du paysage.

L’entourage du ministre de l’Intérieur révèle les derniers chiffres à Valeurs actuelles « 15 000 fichés S environ sont liés à un motif de radicalisation. » La carte de France des personnes radicalisées le montre : les islamistes sont présents sur tout le territoire. Personne n’est épargné. Le fléau est tel que le ministère de l’Intérieur, s’il est parvenu à mieux suivre et connaître ces individus, fait face à une menace grandissante de l’islamisme radical. En témoigne l’échec de plusieurs associations de lutte contre la radicalisation, comme celle de la médiatisée Dounia Bouzar. En dépit des perquisitions, saisies, assignations à résidence, écoutes administratives et fermetures de mosquées, la menace est toujours là. Et installée pour longtemps. Le risque n’a pas diminué.

À chaque tentative d’attentat ou attaque terroriste, la même accusation contre les services de renseignements revient : « Le terroriste était fiché S ! » En boucle, les chaînes d’information et les Français constatent, effarés : l’individu « était connu des services », selon la formule consacrée. Et pourtant, du côté des forces de police, une autre voix se fait entendre, plus silencieuse… presque inaudible : « Si la personne était fichée S, c’est la preuve que la police a bien fait son travail ! » Incompréhension totale entre deux mondes.

Une grande majorité des terroristes ont une fiche S

Car effectivement, il n’est pas acceptable aux yeux des Français que presque tous les terroristes qui s’en sont pris à notre modèle de société soient fichés S, donc suivis par nos policiers et nos gendarmes. Mohammed Merah, Sid Ahmed Ghlam, Omar Ismaïl Mostefaï, Chérif et Saïd Kouachi, Amedy Coulibaly sont autant de terroristes islamistes qui étaient connus de nos services de renseignements pour leur radicalisation. Problème : pour chacun d’entre eux, le passage à l’acte s’est avéré presque indétectable.

D’où l’idée portée par Nicolas Sarkozy lors de la primaire de la droite et relayée par Georges Fenech, qui fut le président de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de Paris, de créer un « Guantánamo à la française », soit un camp d’internement pour les fichés S. Sur le modèle de la prison mise en place par George W. Bush pour interner tous les islamistes considérés par les autorités américaines comme dangereux, en réponse aux attentats du 11 septembre 2001.

Populaire à droite, le projet d’interner les personnes fichées S pour “atteinte à la sûreté de l’État” n’est pas allé plus loin après la disqualification de François Fillon à l’issue du premier tour de la présidentielle. Car, de son côté, Emmanuel Macron a toujours écarté l’idée. Le 2 février 2017, dans des échanges entre les membres de son équipe de campagne, une préconisation suscite l’unanimité : il n’y aura « pas d’internement extra-judiciaire des fichés S, un contresens en matière de renseignements et contraire à l’existence de l’État de droit ».

Autrement dit : pour l’équipe du candidat Emmanuel Macron, si les individus fichés S doivent être internés, c’est uniquement parce qu’ils ont violé la loi. En aucun cas s’il n’y a pas eu de passage à l’acte ou l’imminence d’une action. “Un contresens en matière de renseignements” ? Explication : si les personnes recensées dans le fichier sont internées, elles sauront qu’elles ont une fiche S. Ce qui serait un échec pour les services de renseignements qui ne pourraient plus continuer à les suivre discrètement et donc efficacement.

La fiche S est avant tout un outil de travail interne à la police et à la gendarmerie, qui concerne les personnes qui peuvent, selon la DGSI, « porter atteinte à la sûreté de l’État et à la sécurité publique ». Elle est une des 21 catégories du fichier des personnes recherchées (FPR), qui contient 400 000 individus parmi lesquels des mineurs fugueurs (M), des évadés (V), des débiteurs envers le Trésor (T), ceux frappés d’opposition à la résidence en France (R) ou encore d’interdiction du territoire (IT). Pour chaque catégorie, la fiche indique aux fonctionnaires de police, de gendarmerie ou encore des douanes, les motifs de recherche et la conduite à tenir en cas de contrôle.

En juin 2017, 24 000 fiches S

Les fiches S vont de S1 à S16, ce qui ne correspond pas au niveau de dangerosité d’une personne mais « au comportement à adopter lors d’une interpellation », précise le ministère de l’Intérieur pour éviter toute polémique sur une supposée gradation. Enfin, la fiche S, comme le rappelle l’ancien patron du renseignement intérieur Bernard Squarcini, permet d’« observer un individu qui n’a rien fait de répréhensible, sous les écrans radar, pendant plusieurs mois et d’identifier s’il présente une dangerosité par son mode de vie, ses fréquentations et ses voyages, et s’il doit faire l’objet de moyens opérationnels lourds de surveillance. La fiche peut s’enrichir mais aussi s’appauvrir pour finalement disparaître ».

On retrouve ainsi parmi les fichés S, des hooligans, des activistes d’extrême gauche, des “zadistes”, des Black Blocs et des militants proches du PKK… Mais aussi des combattants djihadistes revenant d’Irak ou de Syrie (S14). Mohammed Merah, lui, était fiché S5.

Si on estimait en 2015 à plus de 20 000 le nombre total de fichés S en France, de 10 500 à 12 000 d’entre eux l’étaient pour radicalisation islamiste ou liaison avec la mouvance islamiste. Il existe en juin 2017, un total de « 24 000 fiches S », nous apprend le ministère de l’Intérieur, qui commente :

« Ce nombre témoigne du travail important de suivi réalisé par les services. »

Parmi elles, 15 000 liées à un motif de radicalisation.

Qu’en est-il de la qualité des informations recueillies ? « Après avoir distribué des fiches S comme des bonbons après les attentats, il a fallu faire le tri, rappelle un commissaire de police, avant d’ajouter : c’est difficile à expliquer, mais on a effectivement dû lever les fiches S qui n’avaient plus lieu d’être pour se concentrer sur les personnes les plus dangereuses. »

Problème : même en faisant un tri, comment les 4 300 policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), auxquels il convient d’ajouter les 2 500 fonctionnaires du Service central du renseignement territorial (SCRT) et les gendarmes de la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO), peuvent-ils surveiller et suivre l’ensemble des fichés S, plus nombreux qu’eux ? Un officier de la DGSI nous fait remarquer : « Pour suivre sérieusement une seule personne, il faut au moins une équipe pour le jour et une pour la nuit. Mais aussi des véhicules pour faire des filatures, des moyens techniques pour faire des écoutes administratives. On arrive vite à quinze ou vingt policiers pour suivre une personne. » Autant dire des moyens gigantesques.

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D’où l’idée proposée à droite par certains et soutenue par Philippe Payri du syndicat FPIP, proche du FN, d’accroître encore les moyens des services de renseignements et de permettre « les interpellations préventives pour éviter un passage à l’acte de personnes dont on connaît la dangerosité avérée ». De son côté, le secrétaire général du syndicat Alliance Police nationale, Jean-Claude Delage, le reconnaît : « La principale des libertés, c’est la sécurité. Le plus important, c’est que les outils créés soient utiles et efficaces pour protéger nos concitoyens. Pour assurer la sécurité, il faut admettre certaines privations de liberté. Avec des contrôles, bien entendu ! » Il plaide en outre pour que tous les policiers puissent faire plus facilement des vérifications d’identité.

La fiche S de Yassin Salhi avait été levée

De son côté, Luc Larcher, secrétaire général adjoint du syndicat Unsa officiers, demande que la loi soit tout bonnement appliquée : « L’arsenal administratif et pénal existe. Il s’agit simplement mais fermement d’avoir la volonté politique de le mettre en oeuvre. Ce sera notre seul salut. » Le commandant de police appelle à « dépoussiérer tout l’arsenal des fichés S […]. Et faire preuve de pédagogie avec les politiques et les médias […]. Que fait-on avec les vrais radicaux ? », interroge-t-il.

Après l’attentat de Saint-Quentin-Fallavier, le 26 juin 2015, pendant lequel Hervé Cornara est décapité par un de ses employés, Yassin Salhi, le ministre de l’Intérieur de l’époque Bernard Cazeneuve est face au mur en apprenant que le terroriste était connu par les services de renseignements et avait été fiché S entre 2006 et 2008. Il explose lorsqu’il apprend que la fiche S a été « levée » en 2008, « en l’absence de doutes ». C’est à ce moment qu’il évoque le fléau des « signaux faibles de la radicalisation » et décide de créer un nouveau fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Le FSPRT recense de manière très large toutes les personnes signalées pour radicalisation passée et présente, mais aussi des personnes « qui disent par exemple ne pas cautionner les actes terroristes mais approuvent intellectuellement une attaque kamikaze », commente un préfet de la Place Beauvau. Ce qui représentait en mars dernier une population de plus de 11 820 personnes en plus des 4 000 cibles que les services ont identifiées d’eux-mêmes et qu’ils souhaitent surveiller de près. Soit un total de près de 16 000 personnes suivies alors par les limiers de l’antiterrorisme. Un rapport du Sénat rendu public le 12 avril dernier évoque un chiffre encore plus élevé de 17 393 individus. Le cabinet de Gérard Collomb indique qu’aujourd’hui 18 000 personnes sont inscrites dans ce fichier. Une masse d’individus qui ne cesse de croître.

Car rien n’est moins rassurant, comme le pointe l’avocat et président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (CRSI), Thibault de Montbrial : « Pour illustrer l’ampleur de la menace, il est édifiant que ni l’auteur de la tentative d’attentat des Champs-Élysées ni celui de Notre-Dame de Paris ne figuraient dans ce fameux fichier [FSPRT]. » Et Montbrial de conclure en renvoyant à l’audition parlementaire de Patrick Calvar, l’ancien patron de la DGSI, en mai 2016 devant la commission d’enquête parlementaire sur les attentats : « Le FSPRT est le moyen pour nous de discuter en permanence avec nos collègues des autres services pour évaluer les cas dont nous n’aurions pas décelé la dangerosité », estimés à 4 000. « Un travail de fiabilisation des données inscrites au fichier a été mené de manière permanente », nous indique-t-on.

L’ampleur de la menace serait toutefois sous-estimée : si les auteurs des deux derniers attentats en France n’étaient pas dans ce fichier de personnes dangereuses, cela signifie que le nombre des terroristes prêts à passer à l’acte à tout moment est bien supérieur à 4 000. Ce qui conduit à poser la question préoccupante : de combien est sous-estimée la masse des terroristes non suivis par les services de renseignements ?

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