
La visite surprise du Président de la République Emmanuel Macron à Marseille a suscité une attention particulière. Il est venu promouvoir les mérites de l’opération “Place Nette XXL”, lancée le lundi précédent pour combattre le trafic de drogue.
Cette initiative mobilise 900 policiers, gendarmes et douaniers, principalement dans les quartiers Nord, pour plusieurs semaines. Quelques jours auparavant, le 5 mars, les magistrats du tribunal judiciaire de Marseille avaient été auditionnés au Sénat lors d’une commission d’enquête qui avait dressé un constat alarmant sur ce problème.
Le constat : vers une “narcoville”
Les chires du narcobanditisme à Marseille en 2023 :
- 50 assassinats en bande organisée (20 en 2020 et 33 en 2022) ;
- 123 blessés en lien avec le trafic (12 en 2020) ;
- 3,3 tonnes de cannabis saisie (2 fois plus qu’en 2022) ;
- 350 Kg de cocaïne saisie (2 fois plus qu’en 2022) ;
- Les têtes gèrent le trafic généralement depuis l’étranger (Maghreb, Pays-Bas, Espagne, Emirats Arabes Unis) ;
- Ils recrutent ensuite des gérants de points de deal, payés au moins 8 000€/mois ;
- Sur ces points de deal, interviennent des vendeurs, des guetteurs, des tueurs, des logisticiens (voitures volées, box et garages pour héberger les tueurs) et enfin des blanchisseurs (dans des activités économiques telles que le BTP, les boîtes de nuits, restauration, etc.).
Ces derniers sont recrutés de plus en plus jeunes (62% des tueurs ont moins de 21 ans), et pour beaucoup, ne viennent pas de Marseille. Ils constituent souvent les premières victimes des “narchomicides”.
“Marseille est la seule ville de France gangrénée à ce point par le trafic de drogue et par l’économie souterraine que ce trafic induit et les règlements de comptes qui en découlent”
Face aux réseaux, deux stratégies complémentaires sont mises en œuvre par les pouvoirs publics :
- D’abord une stratégie de “pilonnage” par le préfet et les forces de police, qui permet de maintenir la pression sur les réseaux ;
- Puis, une stratégie judiciaire, de démantèlement qui est bien plus longue et lourde.
Une réponse judiciaire à la traîne : Face au narcobanditisme, les moyens de la justice doivent être considérablement renforcés (eectifs d’instruction, de gree, d’assistants spécialisés).
“Pour ces gens-là, la prison, c’est la même chose que l’extérieur sans les femmes. Il faudrait un régime pénitentiaire spécifique, très dur, sous forme de quartier de sécurité sans communication avec l’extérieur”,M. Nicolas BESSONE.
A Marseille, 20% de l’activité juridictionnelle est consacrée au trafic de stupéfiants, contre une moyenne de 9% au niveau national. Ce sont des dossiers qui sont longs, complexes, chronophages.
La réponse judiciaire est par ailleurs entravée par une corruption de basse intensité. Si dans les prisons, ce combat est peut-être déjà perdu (accès facile aux téléphones, drogue, etc.), il doit être mené au sein de la police et des juridictions. Des enquêtes internes sont en cours sur des fonctionnaires ou services dont les dossiers font régulièrement l’objet de nullités.
“Chaque personne a un prix et les moyens de ces réseaux sont quasiment illimités.“, Nicolas BESSONE.
Propositions
Plusieurs pistes de propositions ont été évoquées. Une action résolue : au niveau pénitentiaire, au niveau de la législation et au niveau procédural. Ainsi qu’une politique de santé publique contre la consommation.
1/ Le régime pénitentiaire : La prison des Baumettes connaît une surpopulation carcérale de 188%. Outre le scandale que cela constitue pour les conditions des détenues, cela pose un vrai problème de suivi des détenus.
Les magistrats ont plaidé pour la mise en place d’un régime spécial de prisons à haute sécurité : avec isolement de ces profils (qui continuent parfois de gérer le trafic sans problème derrière les barreaux) et brouillage des cellules.
2/ La législation : 3 points de la législation pénale seraient à changer selon les magistrats :
- Criminalisation de l’infraction de l’association de malfaiteurs en vue de la commission d’un crime, qui n’est aujourd’hui qu’un délit puni au maximum d’une peine de 10 ans d’emprisonnement ;
- Revoir le statut des collaborateurs de justice, des informateurs : possibilité d’accorder ce statut à ceux qui ont du sang sur les mains (ayant tué ou commandité), afin d’atteindre les têtes de réseau ;
- Face au blanchiment, mise en place d’une “présomption de blanchiment” : ne pas attendre la condamnation définitive pour confisquer, dès lors qu’il y a environnement criminel et non justification du train de vie.
3/ La procédure pénale : Plusieurs points de procédure seraient à simplifier :
- Le régime des nullités : que l’ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement purge les éventuelles nullités qui n’ont pas été soulevées avant. Distinction nullité formelle/substantielle ;
- Mise en place d’une cour d’assise spéciale, similaire à celle prévue en matière de terrorisme.
4/ Une politique de santé publique contre la consommation : Olivier Leurent déplore que la consommation de cannabis soit largement acceptée dans la société et qu’il n’y ait plus de sentiment de transgression. Elle est mise sur le même plan que la consommation de vin.
Mais consommer du cannabis, c’est entretenir des réseaux criminels. Avec en plus, une nocivité des produits extrêmement forte. Il faut donc une véritable politique de santé publique.
“Une consommation quotidienne de cannabis, et parfois jusqu’à 10 joints par jour, mais sans l’ombre d’une conscience de transgresser la loi”, M. Olivier LEURENT.
Il ressort de cette audition que Marseille est largement gangrénée par le narcotrafic. Plus de 130 points de deal recensés. Olivier Leurent parle ainsi de “narcoville”. Cette audition confirme qu’à Marseille comme ailleurs, un choc d’autorité est urgent avant le délitement de l’Etat de droit.