Conseil de l’Europe : quelle influence dans les affaires intérieures des Etats- membres, et pour quel rôle effectif ?
D’azur à douze étoiles d’or posées en cercle. Ainsi pourrait se définir le drapeau européen en reprenant les codes du langage héraldique. Pourtant, il révèle une triple erreur de croyance. En effet, il ne s’agit pas à proprement parler d’un drapeau mais d’un « logo », au moins au sens des textes officiels – le langage courant l’a néanmoins haussé au rang de drapeau sans difficulté. De plus, la symbolique des douze étoiles est régulièrement perçue comme figurative des douze Etats-membres (EM) qui composaient alors l’UE au moment où elle l’a adopté, c’est-à-dire en juin 1985. Or, le nombre de pays n’est pas la raison de ce symbolisme – à l’inverse du drapeau des Etats-Unis d’Amérique qui, lui, a changé au gré de l’introduction de nouveaux Etats fédérés. Ici, les douze étoiles en cercle sont plutôt une représentation de l’idéal de perfection, d’harmonie, d’intégrité et de solidarité entre les peuples d’Europe. Enfin, et sans doute le plus important, ce drapeau n’est initialement pas celui de l’Union européenne ni de la CEE qui l’a précédé. Son choix en 1985 vient trente ans après son adoption initiale par une autre institution européenne, plus ancienne que l’UE : le Conseil de l’Europe.
Crée en 1949 sur les débris d’un continent meurtri par la Seconde Guerre mondiale, le Conseil de l’Europe (CoE) est une organisation très majoritairement tournée vers la défense des Droits de l’Homme et la promotion de la paix. Basée à Strasbourg depuis ses débuts, elle résulte d’une initiative lancée avant la CECA (qui deviendra la CEE puis l’UE) mais par, plus ou moins, les mêmes personnages : Robert Schuman, Konrad Adenauer, Paul-Henri Spaak, Alcide de Gasperi… et Winston Churchill, puisque le Royaume-Uni (RU) a, de manière constante, été partie au CoE – et l’est toujours, le Brexit n’ayant affecté que son appartenance à l’UE. D’ailleurs, pas un seul EM de l’UE n’a adhéré à l’Union sans avoir d’abord été membre du CoE, ce dernier comptant à ce jour 46 EM (contre 27 pour l’UE), représentant une vision (très) large du continent européen et couvrant 700 millions de citoyens. En effet, des pays comme la Turquie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan en sont membres, tout comme la Russie avant son exclusion en 2022 suite à l’invasion de son voisin. D’ailleurs, des pays qui ont refusé l’appartenance à l’UE (Suisse, Norvège, Islande) sont au CoE, tout comme d’autres en phase d’adhésion au marché commun depuis des décennies parfois (Albanie, Turquie, etc.).
Le CoE n’est donc pas l’UE, malgré les nombreuses confusions qui peuvent survenir. Confusion d’abord car l’UE mêle, elle aussi, dans sa politique des considérations sur la démocratie, l’Etat de droit et la bonne gouvernance qui peuvent « perdre » le spectateur sur les prérogatives de chaque organisation. Confusion ensuite, car le CoE est nettement moins visibilisé que sa « grande sœur » de Bruxelles en raison notamment de la moindre portée de ces textes et de son pouvoir concret sur les EM bien moins perceptible. Confusion enfin et sans doute car il est basé à Strasbourg, ville symbole par excellence de la construction européenne et où des institutions de l’UE sont basées – le vaste hémicycle du Parlement européen en témoigne – laissant de côté les bâtiments moins nombreux et plus modestes du CoE.
A noter aussi que, malgré sa très grande diversité linguistique et culturelle, le CoE n’a que deux langues de travail officielles : le français et l’anglais (contre, théoriquement, 24 langues officielles à l’UE). En matière de statut des fonctionnaires en revanche, les deux institutions sont relativement proches, puisque le CoE recrute lui aussi par concours et ses agents disposent d’un statut spécifique les plaçant en dehors du régime fiscal hexagonal. En osant une comparaison, on pourrait dire que le CoE est en quelque sorte une « mini-UE », avec une diversité culturelle très riche parmi ses membres mais moins d’agents, de bâtiments, de programmes et de ressources financières propres à son service.
La présente note a pour objectif de défricher autant que faire se peut l’écosystème du Conseil de l’Europe, disposant de ses institutions, certes, mais aussi (voire surtout) de tout un panel d’organismes gravitant autour de lui et portant le gros de ses actions et de sa visibilisation au quotidien. Nous verrons ainsi successivement la structure du CoE puis les limites intrinsèques qui se présentent à lui – l’une des plus évidentes étant la quasi-absence de normativité et de force obligatoire de ses actes.
I – Le CoE est une structure théoriquement supranationale, dotée de ses propres institutions, mais évoluant dans un champ d’activité moins large que l’UE
A certains égards, le CoE s’est construit sur le modèle de la CEE/UE (ou peut-être est-ce l’inverse ?). En tout cas, des dynamiques similaires s’observent : présence d’un organe délibératif, d’un organe rassemblant les ministres, d’un secrétariat général… autant d’instances qui rappellent l’UE des premiers temps. En effet, le proto-Parlement européen d’avant 1979 n’avait que peu de pouvoirs, et l’essentiel des prérogatives résidait dans les mains des ministres (le Conseil européen, qui rassemble les Chefs d’Etat et de Gouvernement n’a été créé qu’en 1974). En ce sens, l’UE est un CoE qui a évolué vers une plus grande autonomie des institutions, alors que la répartition des compétences et l’étendue des pouvoirs du CoE n’a que peu varié depuis sa création – sans doute un facteur explicatif de la moindre notoriété de celui-ci.
Le Secrétariat et le Secrétaire général
Le Secrétaire général du CoE est assisté d’un Secrétaire général adjoint et d’un service spécifique à sa disposition (d’environ 1800 agents). Le Secrétaire général dispose, au moins à l’intérieur de son organisation, de pouvoirs étendus pour assurer le bon fonctionnement du CoE. Il a la capacité d’initier des audits et des évaluations internes, de superviser les activités du secrétariat, et de prendre des décisions administratives et financières importantes. Il travaille en étroite collaboration avec les différentes directions et services du Conseil de l’Europe pour garantir que les objectifs puissent être atteints. Son poste est régi conformément aux textes régissant le CoE, et notamment le Traité de Londres de 1949 établissant l’organisation et peut se résumer en quatre axes majeurs, finalement semblables à d’autres postes de même envergure :
- Représentation du CoE dans ses relations extérieures, comme le porte-parole de l’organisation. Il participe à des conférences internationales et des réunions de haut niveau pour promouvoir les valeurs et les objectifs liés à son mandat.
- Supervision générale de l’administration et coordination globale des services et activités administratifs et logistiques.
- Relations de travail avec les délégués des ministres, les membres de l’Assemblée parlementaire et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, ainsi qu’avec la CEDH et le Commissaire aux droits de l’homme.
- Communication, en tant que premier porte-parole de son action, tant à l’Assemblée parlementaire qu’au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux ou dans la presse généraliste des EM. Il est en quelque sorte le « VRP en chef » de l’institution, chargé de la visibiliser et de lui donner – autant que faire se peut – une incarnation politique.
De manière générale, il est attendu du Secrétaire général un rôle relativement convenu, consistant à promouvoir la politique du CoE axée sur les droits humains, le refus du racisme, des discriminations et de l’intolérance ainsi que la promotion des valeurs démocratiques et de la coopération culturelle et scientifique entre les EM. Néanmoins, le Secrétaire général peut être amené à devoir traiter, à son échelle, des bouleversements géopolitiques. Ce fut le cas, notamment de la française Catherine Lalumière alors en poste entre 1989 et 1994, qui initia l’entrée des ex-républiques populaires au sein du CoE. Le Secrétaire général est élu pour cinq ans, une durée assez « standard », également en vigueur à l’UE qui permet de donner une certaine stabilité et une recherche de continuité dans l’action. Un second mandat est possible mais est loin d’être la règle – l’action exercée durant le premier mandat étant évidemment déterminante dans le choix de renouvellement ou non effectué par le Comité des ministres. C’est ce dernier qui propose le nom à l’Assemblée parlementaire, qui doit ensuite le valider. De manière générale, et au CoE comme ailleurs (UE, ONU, etc.), plusieurs arbitrages informels mais néanmoins primordiaux entrent en ligne de compte :
- Rotation géographique pour les postes de haut niveau, y compris et surtout celui de Secrétaire général. L’idée est qu’ils soient occupés par des ressortissants de différents EM afin d’obtenir une certaine équité et une bonne représentativité au sein de l’organisation – souci primordial pour assoir sa légitimité et espérer être écouté.
- Équilibre des genres, une préoccupation croissante dans l’attribution des postes à responsabilité – tant politiques qu’au sein de l’administration interne. Cela a conduit à une augmentation du nombre de femmes occupant des postes clés au sein du Conseil de l’Europe.
- Aussi, et surtout, consensus politique tiré des négociations entre les différents groupes politiques du CoE et les EM. Bien que moins médiatisé qu’à l’UE, le processus au CoE remplit les mêmes objectifs afin que le futur élu dispose d’un soutien le plus large possible, apte à lui conférer une assise correcte pour travailler avec toutes les parties prenantes.
Aujourd’hui, le Secrétaire général est le socialiste suisse Alain Berset, élu par l’Assemblée parlementaire le 26 juin 2024, succédant à la croate Marija Pejčinović Burić (2019-2024). En Suisse, il a occupé plusieurs postes politiques, dont celui de Président de la Confédération. Ainsi, à l’image de ce qui s’observe pour l’UE, on peut avancer que les tops jobs au CoE s’acquièrent après un certain degré de séniorité politique exercé au national. Parmi les priorités affichées figure le soutien à l’Ukraine et à sa reconstruction, leitmotiv repris de la précédente Secrétaire générale (aux affaires lors de l’exclusion de la Russie en 2022).
L’assemblée parlementaire
L’assemblée est, comme son nom l’indique, le volet parlementaire du Conseil de l’Europe et rassemble des élus nationaux nommés par leurs Parlements respectifs ainsi que de membres d’Etats observateurs. Elle dispose d’un Président, d’un Vice-Président et de commissions générales. Elle se réunit quatre fois par an en session plénière («parties de session»), une semaine complète, généralement la dernière semaine de janvier, d’avril, de juin et de septembre. Entre les parties de session, elle est représentée par la Commission permanente qui agit en son nom.
L’essentiel de son pouvoir effectif réside en l’élection du Secrétaire général, du Secrétaire général adjoint, du Secrétaire général de l’Assemblée (à ne pas confondre avec les Présidents et Vice-Président de cette assemblée, eux-aussi élus) et des juges de la CEDH – sans oublier le Commissaire aux droits de l’Homme. Le fait que cette élection soit sur proposition du Comité des ministres n’est pas sans rappeler la procédure existant pour la nomination des tops jobs à l’UE – où le Parlement élit le Président de la Commission une fois celui ou celle-ci recommandé par le Conseil. On voit en ce sens un bon exemple de transferts de pratiques politiques entre les deux institutions – transferts qui vont donc au-delà des seuls symboles européens. Elle dispose aussi d’un bureau formé des dirigeants des groupes politiques, des présidents des commissions générales ainsi que du Président de l’Assemblée et de son Vice-Président. A l’instar d’autres instances comme le Comité des ministres, elle est aidée dans ses tâches par un secrétariat, qui prépare le travail de fond et assure le suivi des décisions et se charge des relations interinstitutionnelles.
A noter enfin que le choix du drapeau européen en 1955 lui est imputable, un choix davantage symbolique que réellement politique, mais qui a su faire florès et montrer l’action que peut avoir le CoE à l’échelle supranationale.
Le Comité des ministres
Le Comité des ministres est l’instance de décision du CoE, crée aux débuts de l’organisation en 1949. Il est composé des Ministres des affaires étrangères des EM qui se réunissent une fois par an à Strasbourg. Entre temps, les Délégués des EM supervisent le travail quotidien avec des réunions hebdomadaires. Les Délégués des EM au CoE sont donc l’équivalent des Représentants permanents des EM pour l’UE. Ils sont assistés par un Bureau, des Groupes de Rapporteurs, des Coordinateurs thématiques et des Groupes de travail ad hoc. Cette instance est chargée de superviser l’exécution des arrêts de la CEDH ainsi que d’adopter les conventions et recommandations liées aux thématiques d’activités du CoE. Il est présidé, pour une durée de six mois par un EM ; mais contrairement à l’Union européenne, la présidence change à mi-mai et mi-novembre (et non pas en janvier et juillet comme au Conseil de l’UE). Autre point notable qui différencie le CoE et l’UE sur ce sujet : la présidence tourne selon l’ordre alphabétique établi en anglais. Un système alphabétique analogue existait aux débuts de l’UE – dans la langue nationale de chaque EM – mais a été abandonné depuis, au gré de l’entrée de nouveaux EM. Jusqu’au 14 novembre 2025, Malte assure la Présidence puis sera suivi par la Moldavie.
Le Comité des Ministres publie également des déclarations et des résolutions sur des questions d’actualité et d’importance pour le CoE. Par exemple, en mars 2022, le Comité des Ministres a adopté une déclaration sur la situation en Ukraine, exprimant son soutien à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, et appelant à une solution pacifique du conflit. C’est aussi lui qui décide in fine des grandes décisions, telles que l’exclusion/retrait de la Russie du Conseil de l’Europe suite à sa guerre d’agression contre un autre membre de l’instance.
Le Comité des ministres est enfin assisté d’un secrétariat qui veille à son bon fonctionnement, prépare et organise les réunions, fait office d’interface et facilite les échanges et le dialogue entre le Comité des ministres et les autres comités… Il supervise aussi la couverture médias des évènements et l’information générale diffusée.
II – Le Conseil de l’Europe visibilise surtout son action par un panel de représentants et d’organismes qui gravitent autour de sa structure
Le Commissaire aux droits de l’Homme
Reconnu par le CoE comme l’une de ses principales entités à égalité avec l’Assemblée parlementaire ou le Comité des ministres, il est en effet l’émanation la plus active et la plus perceptible de l’engagement du CoE en matière de droits de l’Homme.
Le Commissaire aux droits de l’Homme est une institution indépendante au sein du CoE, créée en 1999 pour promouvoir la prise de conscience et le respect des droits fondamentaux dans les 46 EM. Le Commissaire a pour mandat de surveiller la situation des droits et libertés dans ces pays, d’identifier les lacunes éventuelles dans la législation et la pratique et de proposer des améliorations. Etabli à Strasbourg avec son équipe, il est élu par l’Assemblée parlementaire du CoE pour un mandat non renouvelable de six ans, une durée relativement longue conçue pour garantir l’indépendance et l’impartialité. Bien souvent, il s’agit d’une personnalité qualifiée disposant d’une solide expérience dans son domaine. Le Commissaire actuel est l’irlandais Michael O’Flaherty, élu en janvier 2024 – et notamment passé par l’Agence européenne pour les droits fondamentaux (FRA) ou le Haut-Commissariat de l’ONU our les droits de l’Homme .
Le mandat du Commissaire est vaste et consiste à veiller et à promouvoir le respect effectif des droits de l’Homme dans les EM et à proposer des améliorations pour qu’ils honorent leurs obligations en la matière. Pour atteindre ces objectifs, le Commissaire effectue des visites dans les pays, publie des rapports et des recommandations, et engage un dialogue constant avec les gouvernements et la société civile. Il aborde un large éventail de questions relatives aux droits de l’homme, notamment les droits des minorités, la lutte contre le racisme et la discrimination, les droits des migrants et des réfugiés, ainsi que la protection des droits sociaux et économiques.
Il peut également publier des rapports thématiques, par exemple sur la question des droits des personnes handicapées (novembre 2023). Enfin, il travaille assez naturellement avec les ONG et des associations diverses impliquées dans son domaine d’activité.
Par exemple, il a publié le 6 mai 2025 un mémorandum sur les migrations et les contrôles aux frontières en Grèce, suite à une visite sur place. Il y exprime sa préoccupation face aux allégations de renvois sommaires aux frontières terrestres et maritimes et aux potentielles violations de l’article 3 de la CESDHLF que cela peut entrainer. Malgré l’exposition de la Grèce aux arrivées irrégulières, O’Flaherty rappelle que le pays est tenu par le droit international et européen, qui interdisent de telles pratiques, et appelle à une “tolérance zéro”. Le mémorandum demande des procédures individualisées et des voies de recours pour les personnes soumises à des contrôles, ainsi que des enquêtes effectives en cas de violations des droits humains. Il insiste également sur la nécessité de permettre aux organismes nationaux de défense des droits humains d’observer le traitement des demandeurs d’asile et des migrants aux frontières. O’Flaherty souligne l’importance de la mise en œuvre efficace des mécanismes du “Pacte de l’UE sur l’asile et les migrations” et de l’établissement des responsabilités dans le naufrage de plusieurs embarcations de fortune en mer Egée. Fin juillet 2025, c’est à la Macédoine du Nord qu’il a adressé des préconisations en matière d’inclusion des personnes rom dans la société et de réduction des discriminations à leur égard. S’il souligne des points de vigilance notoires, il est intéressant de noter qu’il relève aussi certaines améliorations permises, entre autres, par le CoE et la CEDH (par exemple l’arrêt Elmazova e.a/Macédoine du Nord de 2022).
Le Comité européen des droits sociaux (CEDS)
Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) est un organe du Conseil de l’Europe (CoE) chargé de veiller au respect de la Charte sociale européenne, un traité qui garantit les droits sociaux et économiques. Cette charte met d’ailleurs l’accent sur la protection des publics les plus fragiles : personnes âgées, enfants, personnes handicapées, migrants, etc. Créé en 1965, le CEDS est chargé de la promotion des droits sociaux en Europe, en s’assurant que les États parties à la Charte respectent leurs engagements en la matière. Il est composé de membres indépendants et impartiaux, élus par le Comité des Ministres du CoE pour un mandat de six ans, renouvelable une fois. Les membres sont choisis parmi des experts en droit social et en droits de l’Homme et sont chargés d’évaluer la conformité des législations et des pratiques nationales avec les dispositions de la Charte sociale européenne.
Le CEDS examine les rapports soumis par les États parties à la Charte, ainsi que les réclamations collectives introduites par certaines organisations internationales de travailleurs et d’employeurs. Les réclamations collectives sont possibles depuis 1998, doivent être introduites par écrit et doivent contenir des informations détaillées sur les allégations de non-respect de la Charte sociale européenne. Cette procédure doit logiquement comporter une question d’ordre général, et ne peut porter sur une situation individuelle. Le CEDS examine les réclamations et peut demander des informations supplémentaires aux parties concernées. Après avoir examiné une réclamation collective, le CEDS adopte une décision dans laquelle il conclut si l’État concerné a violé ou non les dispositions de la Charte. A titre d’exemple, des syndicats français ont saisi le CEDS contre le « barème Macron » plafonnant les indemnités pour licenciement abusif. Le CEDS publie aussi des conclusions annuelles sur la situation des droits sociaux dans les États parties à la Charte, ainsi que des décisions sur les réclamations collectives. Ces conclusions et décisions sont transmises au Comité des Ministres du CoE, qui peut adopter des recommandations à l’intention des États concernés. Dans la cas présent, le CEDS estime en effet que la France devrait modifier sa législation sur le licenciement pour mieux protéger les salariés – ce qui n’a pas été fait (pouvoir essentiellement consultatif faisant). Si la Charte sociale européenne est en théorie un traité juridiquement contraignant, son application ne dépend que du principe de bonne foi – c’est-à-dire de la volonté des EM de s’y conformer. Le Comité des ministres, d’ailleurs, ne fait que recommander (=/= obliger). Ainsi, bien qu’ayant été rappelée à l’ordre par le CEDS, la Belgique continue de n’imposer aucune obligation de rémunération dans le cadre d’un stage et, ironie, si la loi belge doit changer, ce pourrait être davantage dû à une refonte des règles de l’UE davantage que du respect des recommandations du CoE. A noter enfin, et sans entrer dans le détail, que d’autres OIG et des ONG peuvent participer au dialogue avec le CEDS.
Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a été créé en 1989, suite à l’entrée en vigueur de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Cette convention, adoptée dans le cadre du CoE, a été ratifiée par les 46 EM. Le CPT est basé à Strasbourg et est composé de membres indépendants et impartiaux, élus par le Comité des ministres du CoE pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois. Les membres sont choisis parmi des personnalités reconnues pour leur compétence dans le domaine des droits de l’homme ou ayant une expérience professionnelle dans les domaines couverts par la Convention. Il est présidé par un bureau composé d’un président et de deux vice-présidents, élus par les membres du comité pour un mandat de deux ans. Le président actuel du CPT est Alan Mitchell, élu en 2022. Les rapports et recommandations sont adoptés en sessions plénières
Les objectifs principaux du CPT sont de protéger les personnes privées de liberté contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Pour atteindre ces objectifs, le CPT se concentre sur des visites régulières dans les lieux de détention des EM, où il examine le traitement des personnes privées de liberté et les conditions de détention. Les délégations (membres du CPT, secrétariat, interprètes) bénéficient d’un droit absolu de se rendre dans les lieux de détention du pays considéré ainsi que de s’entretenir avec les détenus. Ces visites permettent au CPT de formuler des recommandations spécifiques pour améliorer les conditions de détention et renforcer la protection des droits de l’homme. Le CPT publie des rapports détaillés à la suite de ses visites, qui sont transmis aux gouvernements des EM concernés et, selon les réponses, permettent d’assurer le suivi des situations étudiées. Les rapports d’évaluation couvrent un large éventail de sujets, notamment les conditions de détention dans les prisons, les centres de détention pour mineurs, les postes de police, les centres de rétention pour étrangers, les hôpitaux psychiatriques et les foyers sociaux. Les sujets de travail principaux du CPT évoluent en fonction des priorités et des défis émergents en matière de prévention de la torture et des mauvais traitements – dernièrement sur le sujet de la surpopulation carcérale (rapport d’activité 2024) et de la hiérarchie informelle entre détenus.
Parmi les nombreux travaux du CPT, mentionnons celui consacré aux centres de rétention pour migrants – dans le cas présent à Malte, mais des travaux similaires existent dans les autres EM. Ils sont également révélateurs des standards que promeut le CPT lors de ses inspections et du modèle « idéal » qu’il vise à faire tendre aux Etats-membres dans leurs infrastructures spécialisées. Dans le cadre d’une évaluation des conditions de détention en prison, en centre de rétention pour migrants et en garde à vue à Malte, le CPT fait état de progrès, mais aussi de préoccupations persistantes depuis ses visites précédentes, en 2015 et 2020. En ce qui concerne les centres de rétention pour migrants, il est relevé que les conditions se sont légèrement améliorées depuis 2020. Les centres sont moins encombrés, des installations ont été rénovées, le personnel est plus nombreux et la gestion s’est améliorée, même s’il subsiste des points d’amélioration (grands dortoirs, infrastructures obsolètes, conditions insalubres, etc.). Sont recommandés : la mise en place de cours de langue et d’activités de formation, la possibilité d’activités sportives, un accès quotidien libre aux espaces extérieurs et une reconfiguration des unités « de type entrepôt » en « unités de vie plus petites et plus humaines ». Réagissant à des allégations de violence de la part du personnel, le CPT appelle à une « tolérance zéro » à l’égard des abus. On le voit, la liste des recommandations que les inspecteurs adressent aux EM à chaque visite est assez longue, et correspond à une définition très extensive des droits humains et du respect de la dignité. Si cela est en lien avec des arrêts de la CEDH, c’est avant tout une question de promotion de « bonnes pratiques », mais dont l’opérationnalisation intégrale peut être mise en doute sur sa faisabilité et surtout sur la bonne volonté des EM à le faire (et à allouer de précieux crédits budgétaires en ce sens).
Le Groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe (GRECO)
Le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) est une instance spécialisée dans la lutte contre la corruption. Créé le 1er mai 1999, il a été établi en réponse à la reconnaissance croissante de la corruption comme une menace sérieuse pour la stabilité démocratique, l’État de droit et les droits de l’homme en Europe. Il est basé à Strasbourg et est composé de représentants des États, ainsi que de certains États non-membres qui ont adhéré à ses statuts. Chaque EM désigne un ou plusieurs représentants, généralement des experts en matière de lutte contre la corruption, pour participer aux travaux du GRECO – ce qui permet de croiser les points de vue et les approches méthodologiques.
Les objectifs principaux du GRECO sont de surveiller le respect, par les EM, des normes anti-corruption du CoE et d’aider ces États à identifier et à combler les lacunes dans leurs politiques et pratiques anti-corruption. Pour atteindre ces objectifs, le GRECO se concentre sur l’évaluation mutuelle, un processus par lequel les États s’évaluent les uns les autres sur la base de critères et de normes convenus. Pour atteindre ces objectifs, sans pouvoir assertif ou de sanction, le Groupe établit des rapports d’évaluation, des recommandations, assorti d’un suivi de la mise en œuvre par les EM. Les modalités de décision sont fondées sur le consensus, et la présidence est assurée à tour de rôle par les EM, pour une durée d’un an. Le président est notamment responsable de la coordination des travaux du groupe, de sa représentation et de l’avancée des travaux.
Les rapports d’évaluation peuvent couvrir un large éventail de sujets – souvent évolutifs selon l’actualité et les défis émergents : transparence du financement politique, corruption au sein des forces de l’ordre, de la magistrature et du pouvoir exécutif, la lutte contre le blanchiment d’argent, etc. D’autres rapports ont eu lieu pendant la période COVID sur des questions de transparence et d’intégrité dans la gestion des fonds publics. Ces rapports sont élaborés à partir d’informations fournies par les EM ainsi que de visites sur place et de consultations avec des experts et des parties extérieures. Tous les rapports d’évaluation, par cycle et pays, sont disponibles en ligne.
Deux exemples parmi d’autres de travaux récents du GRECO :
Le rapport consacré aux Pays-Bas. « Les Pays-Bas ont fait quelques progrès en matière de prévention de la corruption et de promotion de l’intégrité au sein du gouvernement central et de la police, mais d’autres progrès sont encore nécessaires », a estimé le GRECO dans un rapport de suivi publié en juillet 2025. Soulignant la nécessité de « prendre des mesures plus concrètes et plus solides », le GRECO réclame l’adoption d’une politique d’intégrité ciblée sur les domaines où les risques de conflit d’intérêts et de corruption sont les plus aigus, la mise en place d’un mécanisme de supervision et de sanctions à l’intention des membres du gouvernement et l’introduction d’un système de déclarations financières régulières faites par les membres du cabinet au cours de leur mandat. S’agissant des services répressifs, des mesures sont encore nécessaires pour introduire de nouvelles mesures de déclaration d’enregistrement centralisé des cadeaux acceptés ainsi que de déclaration et d’enregistrement des intérêts financiers – des recommandations figurant dans de très nombreux rapports, et qui dont donc loin de représenter une situation endémique à la seule Hollande. Le GRECO demande en outre aux PB de lui communiquer d’ici le 31 mars 2026 un rapport sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de ses recommandations.
Le rapport consacré au Portugal. Dans le cadre de son évaluation du quatrième cycle, le GRECO a noté dans son rapport du 30 juillet 2025 que Lisbonne a mis en œuvre cinq des quinze principales pistes de réformes précédemment formulées afin de prévenir la corruption des parlementaires, des juges ou encore des procureurs. Ainsi, le comité note que les procédures parlementaires sont ainsi plus strictes (acceptation de cadeaux, privilèges, invitations, etc.) et les déclarations de revenus, patrimoine et intérêts réalisables sur une plateforme électronique. En revanche, et contrairement à la France, les activités de lobbying n’y sont pas ou peu réglementées. Brassant large, le GRECO note, pour la justice, certains progrès faits ou en cours, en dépit d’un niveau global de réforme « globalement insuffisant ». Au-delà de l’appréciation quasi-scolaire, les conséquences concrètes sont nulles et ont surtout pour objet de diffuser les bonnes pratiques en s’inspirant des meilleurs élèves du CoE, voire en proposant des standards élevés – mais sans réel pouvoir impératif autre que ces rapports publics.
La Banque de développement du Conseil de l’Europe
La Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB) est une institution financière internationale créée en 1956 pour promouvoir la cohésion sociale et renforcer l’intégration européenne. Basée à Paris, la CEB est un organe distinct du CoE, bien qu’elle travaille en étroite collaboration avec cette organisation pour atteindre des objectifs communs. La CEB se concentre sur le financement de projets sociaux dans ses États membres, en mettant l’accent sur des secteurs tels que l’emploi, l’éducation, la santé, le logement, et l’intégration des migrants et des réfugiés. Tant dans la structure que dans certaines missions, un lien peut être tissé avec la Banque européenne d’investissement (BEI).
La structure de la CEB est conçue pour répondre aux besoins spécifiques de ses EM, qui sont également actionnaires de la banque. Sa gouvernance est assurée par un Conseil d’administration, composé de représentants des EM et qui prend les décisions stratégiques et supervise les opérations. Le CA est assisté par un Comité de direction, responsable de la gestion quotidienne de la banque. De manière logique, les décisions de financement sont prises sur la base d’une évaluation rigoureuse des projets, en tenant compte de leur viabilité financière, de leur impact social, et de leur conformité avec les priorités stratégiques de la CEB. Elle collabore également avec d’autres institutions financières internationales, telles que la BEI et la Banque mondiale ainsi qu’avec les gouvernements des EM, les organisations de la société civile et les institutions académiques dans une approche qui se veut basée sur les besoins réels du terrain.
Son mandat consiste à fournir des financements pour des projets sociaux qui contribuent à renforcer la cohésion sociale et à améliorer les conditions de vie des populations les plus vulnérables. La banque offre à cette fin des prêts à des conditions avantageuses ainsi que des subventions et de l’assistance technique au soutien de projets qui peineraient à l‘être par des sources classiques. Les projets financés par la CEB couvrent un large éventail de secteurs, allant de la construction de logements sociaux à la modernisation des infrastructures éducatives et de santé. Récemment, on peut citer les actions soutenant le développement et la reconstruction en Ukraine – par le prisme de l’amélioration des infrastructures et des services publics dans les zones touchées par le conflit. La CEB a également soutenu des projets d’intégration des migrants et des réfugiés en Allemagne, en fournissant des financements pour des programmes de formation linguistique et professionnelle, ainsi que pour des services de soutien psychosocial.
Les représentants et missions spécifiques désignés selon les évènements et les besoins
Dans cette catégorie figure par exemple, l’Envoyée spéciale pour la situation des enfants d’Ukraine, dont la titulaire est Thórdís Kolbrún Reykfjord Gylfadóttir. Ce type de nomination repose sur la prérogative du Secrétaire général de créer, pour une durée limitée, des mandats ad hoc confiés à des personnalités expérimentées. L’envoyé spécial n’est pas un organe statutaire, mais agit au nom du Secrétaire général et dispose d’un mandat politique défini, généralement renouvelable annuellement, qui lui permet d’attirer l’attention des États membres, de relayer les préoccupations de l’Organisation et de contribuer à la coordination des réponses institutionnelles.
Dans le cas ukrainien, Mme Gylfadóttir est chargée de mettre en lumière les conséquences des transferts forcés d’enfants signalés depuis 2022 et de faciliter le dialogue entre le Conseil de l’Europe et les autorités nationales. Elle peut, en particulier, soutenir les travaux du Registre des dommages de la guerre d’agression de la Russie, dans lequel une catégorie spécifique relative aux préjudices subis par les enfants est en cours d’introduction. Son mandat comprend également la possibilité de sensibiliser les États membres lors de conférences de haut niveau, de mobiliser les mécanismes de coopération existants – notamment dans les domaines de l’éducation, de la protection de l’enfance et de la prise en charge des traumatismes – et de contribuer au suivi des mesures décidées dans le cadre du Plan d’action du Conseil de l’Europe pour l’Ukraine. L’exemple ukrainien illustre ainsi le rôle d’un envoyé spécial : agir comme relais politique et opérationnel, assurer la visibilité d’un dossier prioritaire et renforcer la cohérence de l’action du Conseil de l’Europe. S’il ne dispose pas de pouvoirs contraignants, ce type de mandat offre une capacité d’initiative et de représentation qui complète les instruments conventionnels et juridictionnels de l’Organisation.
Autre exemple, le rapport SPACE documentant de manière annuelle les statistiques pénales. Dans son édition 2025, il conclut à une surpopulation en hausse, mais différenciée selon les EM. Par exemple, la France se situe dans le trio de tête (avec la Slovénie et Chypre), alors que le Luxembourg, la Bulgarie et l’Estonie sont les pays où le taux d’incarcération à le plus significativement diminué. L’étude est menée par des chercheurs de l’université de Lausanne pour le compte du CoE – et non pas par les propres services de l’institution. Le rapport propose néanmoins certaines pistes telles que des alternatives à l’emprisonnement.
III – Les actions du CoE occupent avant tout l’espace symbolique et n’ont que peu d’effet réellement contraignant, a fortiori pour des gouvernements illibéraux
La coopération ou l’opposition aux instances du CoE est une variable de politique nationale
On l’a dit, le CoE n’a que très peu (voire pas) de pouvoirs impératifs, et les recommandations qu’il contient ne semblent sévères à l’égard de certains pays qu’en raison, précisément, de leur caractère indicatif. En quelque sorte, le pays récalcitrant continuera de se faire « taper sur les doigts » par les instances du CoE mais sans que celles-ci ne puissent aller réellement plus loin. Le name and shame a ses limites. A l’inverse, un compromis obtenu à l’UE peut sembler plus fade mais il sera, lui, suivi d’effets concrets et de sanctions administratives, financières et/ou judiciaires en cas de non-application. Puisque l’on dépasse la valeur indicative pour aller vers un caractère prescriptif, il est donc logique que le compromis soit davantage scruté et négocié à Bruxelles qu’à Strasbourg.
Côté provocateur : les EM qui défient ouvertement le CoE
Un exemple évident est la Russie, partie d’elle-même avant son exclusion en 2022. Néanmoins, Moscou n’est pas la seule capitale à ne pas prendre en compte tout ou partie de ce qui lui est adressé en matière de recommandations. Dans une conception classique théorique, nul Etat de droit ne veut voir exposé dans un rapport public les défaillances de ses administrations – a fortiori sur des sujets comme les droits et libertés fondamentales, qui sont revendiqués comme parties intégrantes des valeurs de toute la classe politique de nombreuses démocraties. Ceci devrait donc inciter à la coopération et à la recherche de solutions face aux manquements exposés. Pourtant, l’attitude inverse peut aussi être sciemment recherchée, en ce que les rapports du CoE peuvent se confronter à des marqueurs politiques sur lesquels le Gouvernement n’a nulle envie de revenir. Ainsi en est-il, par exemple et pur un cas récent, de la loi italienne sur la sécurité intérieure. Bien qu’ayant suscité beaucoup de réactions d’opposition de la part d’ONG, d’associations et de représentants de la société civile organisée, le texte a été voté – en dépit des multiples inquiétudes exposées par le commissaire (voir, à ce sujet la brève du CRSI). S’opposer aux recommandations sur les droits humains devient donc un argument politique au service d’un programme et d’un électorat en quête de gages de la part des gouvernants.
Dans un autre registre, lors de la 30e Conférence internationale sur les droits humains à Budapest, le 25 juin, Michael O’Flaherty, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a exprimé sa solidarité avec les personnes LGBTI en Hongrie. Il a dénoncé l’interdiction de la Marche des fiertés de Budapest et a exprimé ses inquiétudes face à la législation interdisant les rassemblements liés à ce type d’égalité des droits. Cette interdiction s’inscrit dans une série de répressions depuis l’adoption de la loi “anti-propagande LGBTI” en 2021, actuellement contestée devant la CJUE. O’Flaherty a également critiqué un projet de loi sur la transparence de la vie publique, menaçant l’espace civique en Hongrie et a appelé les autorités hongroises à modifier les textes et prendre en compte les avis de la société civile, conformément aux normes internationales. Ce faisant, le Commissaire est dans son rôle, mais rien n’indique que ses souhaits seront suivis d’effets, bien au contraire. Alors que cette politique sociétale est un marqueur politique du gouvernement de Viktor Orban, le CoE représente la cible parfaite pour le nationalisme hongrois, celle d’un supranationalisme déconnecté des réalités, haïssant les traditions des Etats et promouvant un agenda activiste et progressiste. De plus, l’absence de toute sanctions, notamment financière (au contraire de l’UE) n’incite en rien à un changement de cap.
Côté coopératif : les EM qui jouent le jeu
A l’inverse, d’autres EM font, sinon du respect total, au moins de la prise en compte d’un certain nombre de recommandations une ligne de conduite générale. Ainsi en est-il de l’Irlande. En 2024, le CPT a mené une visite dans la partie sud de l’île, examinant plusieurs prisons ainsi que des établissements psychiatriques et pour mineurs. Son rapport, publié à l’été 2025, souligne des progrès depuis 2019, notamment des améliorations dans les prisons pour femmes et une meilleure traçabilité des mesures disciplinaires. Toutefois, le CPT met en évidence des difficultés persistantes : surpopulation chronique, tensions sécuritaires, violences entre détenus et allégations d’usage disproportionné de la force par le personnel dans des zones non couvertes par la vidéosurveillance. Le Comité dénonce aussi des décès évitables, le recours prolongé à l’isolement, l’usage de cellules dépourvues d’activités et la présence en prison de personnes atteintes de troubles psychiatriques faute de places adaptées. Une critique qui, au passage, est valide pour de nombreux autres EM.
En réponse, Dublin a réaffirmé sa coopération avec le CPT et son intention de ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture, ce qui implique la création d’un mécanisme national de prévention. Il a annoncé un financement accru, le recrutement de près de 400 agents, et la construction de nouvelles capacités. Plusieurs prisons font l’objet de projets de rénovation, et un plan de gestion de la population carcérale prévoit l’élargissement des régimes ouverts et le recours accru aux libérations temporaires. Des mesures ciblent également l’encadrement de l’usage des cellules d’observation et la formation des agents à la désescalade. Ce dialogue entre le CPT et les autorités irlandaises illustre une dynamique de suivi : si les critiques demeurent, le gouvernement s’efforce d’apporter des réponses concrètes aux recommandations européennes. En corollaire évident, il s’agit de montrer l’attention portée aux droits de l’Homme comme marqueur fort des politiques publiques du pays.
Une caisse de résonnance pour la légitimation de positions politiques et diplomatiques
Parmi les nombreux exemples ayant émaillé d’histoire du CoE au gré des divers conflits mondiaux, citons l’un des plus récents : le conflit au Proche-Orient. Le Conseil de l’Europe, via son commissaire aux droits de l’homme Michael O’Flaherty, a alerté les 46 États membres sur les risques liés aux ventes d’armes à Israël dans le contexte de la guerre à Gaza. Il les exhorte à s’assurer du respect du droit international humanitaire et à suspendre tout transfert d’armements susceptibles d’être utilisés dans des violations des droits de l’homme ou du droit de la guerre. Cette mise en garde fait suite à une mesure prise par l’Allemagne, qui a annoncé la suspension de certaines livraisons d’armes vers Israël, ciblant les équipements qui pourraient servir dans le conflit à Gaza. Le commissaire juge cette décision insuffisante et appelle à une action plus large et rapide de tous les États membres. Le message porté par le CoE s’inscrit dans le cadre de sa mission de vigilance des droits fondamentaux sur le continent. In fine, il ne fait que rappeler aux pays membres l’obligation d’utiliser les normes juridiques déjà existantes, notamment celles interdisant les exportations d’armes lorsque ces dernières pourraient contribuer à commettre des crimes contre l’humanité ou des atteintes à la population civile.
Toutefois, en pratique, l’effet est essentiellement un exercice d’annonce légitimant au mieux les acteurs opposés à la politique israélienne à Gaza et en Cisjordanie. Pour le reste, que le Commissaire aux droits de l’Homme ait pris possession ne change rien aux dynamiques nationales – ni à la reconnaissance de la Palestine par tel ou tel EM. Plus significatif est le débat en cours à l’UE sur l’opportunité de geler des accords avec Israël : encore une fois, dès que des prérogatives autres que la simple conscientisation morale sont à l’œuvre, l’effet politique et médiatique change de dimension.
En conclusion :
Le rôle de du Conseil de l’Europe (CoE) dans le paysage politique et juridique européen – tout comme celui de la Cour européenne des droits de l’homme – est souvent sujet à débat. Certains pourraient s’interroger sur l’utilité concrète de ces institutions, notamment en raison de leurs moyens et actions limités par rapport à d’autres organisations internationales comme l’Union européenne (UE). Cependant, il est essentiel de reconnaître que le CoE joue un rôle dans la mise en lumière de questions qui pourraient autrement passer inaperçues face aux priorités nationales du quotidien.
Le Conseil de l’Europe reste malgré tout pertinent pour la discussion et la promotion de normes juridiques et politiques, assurant que ces questions restent à l’ordre du jour politique et public. Cette fonction est particulièrement importante dans un environnement où les préoccupations nationales peuvent facilement éclipsées par des questions plus immédiates et tangibles : guerre, économie vacillante compétitivité. La question des droits humains parait secondaire, voire opposée à l’air du temps. Pourtant, malgré ces limites, 46 EM continuent à se parler – dont une quasi-moitié ne sont pas membres de l’UE. En cela, le forum est resté ce qu’il devait être à ses origines : un espace de discussion et de prévention des conflits (si l’on excepte le raté évident Russie/Ukraine). Cependant, il est également vrai que les moyens et les actions de la CEDH et du CoE sont limités. Contrairement à l’UE, qui dispose d’un arsenal de compétences, de financements et de politiques plus aptes à se faire respecter, le CoE peine parfois à faire valoir ses positions et principes. Cette limitation est particulièrement évidente face à des États qui adoptent une certaine défiance comme ligne de conduite et de communication politique et électorale.
Ceci ne sort pas de nulle part. Les gouvernements nationaux sont souvent confrontés à des pressions politiques et économiques qui peuvent les amener à négliger ou à minimiser l’importance de certaines questions. Dans de tels cas, le CoE peut, bon an mal an, servir de contrepoids, rappelant aux États leurs obligations et engagements. In fine, CoE et UE peuvent être vus comme les deux faces d’une même pièce, issus des mêmes grandes idées de l’Après-guerre et partageant en commun un panthéon de pères fondateurs dont la vision d’ensemble allait bien plus loin que la partition entre deux ensembles organisationnels distincts. Une pièce d’autant plus unique que l’UE s’affirme de plus en plus elle aussi comme une protectrice de l’Etat de droit et des droits fondamentaux, mais avec le maniement d’un instrument financier d’autant plus puissant qu’il fait défaut au CoE et, ultimement, peut contribuer à le marginaliser sur son propre terrain d’action.
Aurélien JEAN