État de la souveraineté alimentaire française : constats et perspectives

État de la souveraineté alimentaire française : constats et perspectives
30 juin 2025 Olivier Debeney

Agriculture française : entre contraintes réglementaires et enjeux de résilience

La France ne nourrit plus les siens. C’est le constat que l’on peut faire en regardant la balance commerciale agroalimentaire française. En effet, si on retire les vins et spiritueux qui ne sont pas de la nourriture à proprement parler, nous importons, en valeur, plus de produits agricoles et alimentaires que nous n’en exportons. Triste réalité pour un pays que l’on surnommait « le Grenier de l’Europe ».

Par Renaud d’Hardivilliers


Si les rendements moyens des principales grandes cultures françaises ont connu une croissance remarquable durant le 20 ème siècle et jusqu’au début du 21 siècle, on peut noter maintenant que la courbe s’affaisse légèrement et amorce une décroissance. Le phénomène est multicausale mais les 2 principales causes semblent être, d’une part, le rétrécissement de la palette des moyens de production à la disposition des agriculteurs et d’autre part, le changement climatique.

Le 28 septembre 2022, les sénateurs Sophie Primas, Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou publiaient un rapport parlementaire pour alerter sur cette situation et proposer quelques solutions. Mais 3 ans après, force est de constater que le message n’a pas été pris au sérieux. La situation ne s’est pas améliorée. Pire, elle s’est dégradée.

En matière agricole et écologique, les réglementations qui ont pour conséquence la diminution de la production sont légion au niveau européen. Et la France surtranspose les normes de Bruxelles. Les matières actives tombent les unes après les autres (néonicotinoïdes et phosmet pour ne citer qu’elles), les apports d’eau et d’engrais sont limités (directive nitrate) et une part croissante de la surface cultivable est exclue de l’activité productive (ZNT, jachère, haie, …). Et ce mouvement ne semble pas être terminé.

Selon un rapport du centre d’étude de la Commission européenne elle-même, les stratégies agricoles du Green Deal contribueront à baisser la production du continent d’au moins 13% (probablement plus, car ce chiffre dépend de nombreuses d’hypothèses de modélisations). Les autres études publiées pour l’heure sur la stratégie européenne indiquent toutes la même tendance, voire des baisses encore plus importantes quand des mesures comme celle de « restauration de la nature » y sont ajoutées. Et, contrairement au dicton martelé par la profession agricole « pas d’interdiction sans solution », le législateur ne s’intéresse que très peu à la présence d’alternatives économiquement viables.

Mais l’écologie n’a pas de prix. C’est vrai, ou plutôt ce serait vrai si l’ensemble de ces mesures, adoptées dans un but écologique, avaient bien un effet positif sur l’environnement. Mais force est de constater que ce n’est pas systématiquement le cas. Pire, certaines réglementations entraînent l’effet opposé à la volonté initiale du législateur.

Souvent, nous entendons dire que telle ou telle loi dite écologique n’est pas acceptable, car elle ne prend pas en compte la dimension économique. Mais ne faudrait-il pas élever la voix avant tout pour préciser, quand c’est le cas, que cette dernière n’est pas acceptable, car elle n’est pas vraiment écologique.

Les exemples sont très nombreux, mais je n’en citerais que 2.

Le tournesol est une culture qui permet de réduire l’usage de la chimie, notamment dans certaines plaines de la moitié nord de la France où règne le blé, l’orge et le colza où il est peu présent. Mais cette culture est très sensible à la prédation des corbeaux et des corneilles qui ont la belle vie en raison de l’absence des molécules permettant de contrôler ces espèces. L’interdiction d’une substance chimique conduit donc à l’augmentation de l’utilisation d’une autre, avec un bilan qui semble loin d’être en faveur de l’environnement.

Autre exemple, les restrictions et les velléités d’interdiction du célèbre glyphosate. Cet herbicide est particulièrement médiatisé, mais c’est loin d’être le plus dangereux. Son usage, raisonné bien sûr, permet cependant de diminuer l’usage d’autres produits plus dangereux. Par ailleurs, il protège la santé des sols, car il permet à bon nombre d’agriculteurs de limiter les interventions mécaniques dans leurs champs, comme le labour par exemple. Les restrictions à son utilisation en vigueur aujourd’hui peuvent donc être écologiquement contre-productive, et son interdiction le serait encore plus.

On pourrait parler de beaucoup d’autres dossiers comme le rétrécissement du nombre d’herbicides utilisables qui entraîne l’apparition de résistance chez les mauvaises herbes ou encore l’interdiction des néonicotinoïdes utilisées sur des plantes qui ne fleurissent pas comme la betterave. Mais le plus problématique, c’est la skizoprénie qui consiste à interdire des moyens de production dans l’hexagone tout en ouvrant grand nos portes aux productions des autres pays (européen ou non-européen) qui ont été pulvérisées avec les molécules interdites chez nous. Je pense notamment aux négociations en cours sur le traité du Mercosur, mais ce n’est pas le seul. Ni l’écologie, ni la santé des Français, ni la souveraineté alimentaire ne ressort gagnant d’une telle logique. Seule l’économie des pays exportateurs l’est peut-être.

Pour boucler le cercle vicieux, les agriculteurs sont dans la rue, car ils ne parviennent plus à vivre de leur métier. Et le bouc émissaire idéal est alors tout désigné : la grande distribution et ses prix jugés trop bas. « Mais à focaliser sur le prix, on s’exonère de la réflexion sur les coûts de production. Il ne faut pas se tromper de combat », explique Philippe Goetzmann, expert consommation et alimentation, dans un entretien au journal le Betteravier Français. Et de continuer : « Les politiques ont intérêt à dériver des charges vers le prix, car cela leur permet de s’exonérer de leur propre turpitude. L’État est le premier responsable du coût de production via le poids fiscal, social et normatif, alors que la réflexion sur les prix leur permet de renvoyer les balles sur les acteurs privés », précise-t-il en évoquant la loi égalim.

L’autre responsable majeur de la dégradation de la souveraineté alimentaire est le changement climatique. Mais là encore, il existe des moyens pour s’adapter notamment grâce au stockage de l’eau excédentaire pendant les périodes d’excès de précipitation, ou encore grâce à la recherche variétale. Mais là encore, un certain nombre de courants écologiques font obstacle tant aux réserves d’eau, dispositif pourtant très écologique si on la comprend bien, qu’aux NGT sont assimilés à tort à la transgenèse.

Remarquons qu’une constante revient dans tous ces débats de société : la méconnaissance voire la négation du réel. Retrouvons donc le sens du réel en agriculture, et nous retrouverons dans un même mouvement tant l’écologie que la souveraineté alimentaire. Car la terre est bien faite : elle permet de produire tout en le faisant de façon durable. Mais à une seule condition : la réalité doit reprendre le pas sur l’imaginaire et le fantasme.