Gestion des migrants irréguliers : Bruxelles propose, Paris soutient, Londres observe… et Rome se débat avec les centres de retour

Gestion des migrants irréguliers : Bruxelles propose, Paris soutient, Londres observe… et Rome se débat avec les centres de retour
7 mai 2025 Olivier Debeney

Gestion des migrants irréguliers : Bruxelles propose, Paris soutient, Londres observe… et Rome se débat avec les centres de retour

Par A. Jean,


Pionnière dans l’idée de renvoyer les migrants arrivés illégalement sur son territoire dans des centres d’accueil spécifiques installés hors de l’UE, l’Italie doit maintenant en gérer les conséquences pratiques, notamment d’un point de vue juridique et financier. Ce retour d’expérience immédiat pourrait-il être un avant-goût de ce qui arrivera à l’échelle de l’UE dans quelques temps ? La Commission européenne a en tout cas dévoilé une proposition de règlement visant à reconnaître certains Etats comme des « pays sûrs », aptes à reprendre leurs ressortissants déboutés de l’asile en Europe. Et ceci, en dépit de critiques tant sur le niveau de « sureté » allégué que sur l’effet réel d’une telle politique. Cela n’empêche pas ces évolutions d’être suivies de très près par des Etats européens soucieux d’apporter une réponse à une situation difficilement maîtrisée jusqu’à présent ; par les pays tiers, dont nombre de ressortissants pourraient être concernés… et par le Royaume-Uni, qui ne désespère pas de contrer les small boats toujours plus nombreux qui s’aventurent dans les eaux agitées de la Manche. A cette fin, de nouvelles discussions ont eu lieu avec la France pour essayer d’aller plus loin que le cadre actuel de coopération.

Point liminaire dans le propos introductif sur les dernières statistiques disponibles. Les retours de personnes en situation irrégulière dans l’UE ont augmenté de 12% entre 2023 et 2024 (environ 123 000 cas). Un chiffre louable mais jugé trop faible au regard du nombre total d’injonctions à quitter le territoire prononcées par les juridictions nationales. Frontex – l’Agence Européenne de garde-côtes et de gardes-frontières – a aussi aidé à rapatrier plus de 56 000 personnes (une hausse de 43% par rapport à l’année précédente) et les retours volontaires ont continué d’augmenter, passant de 54% à 64% du total des retours effectifs en un an.

En revanche, toujours en 2024, l’octroi du statut de protection a progressé de 7% pour un total de presque 438 000 demandes d’asile. D’après les récentes données d’Eurostat, les trois pays européens accordant le plus de demandes de ce type sont l’Allemagne (34% du total et 150 000 cas), la France (15%, environ 65 000) et l’Espagne (12%, environ 51 000). Les trois nationalités à qui la protection a été le plus accordée sont les syriens (32%, 141 000 personnes), les Afghans (17%, 72 000 cas) et les Vénézuéliens (8%, 34 500 cas). Ces trois nationalités, avec les Ukrainiens, ont les taux de reconnaissance les plus forts à l’échelle du continent – au-dessus de 80%.

Sur la question des mineurs non-accompagnés, l’Allemagne est le pays accordant le plus de décisions de protection (près de 50% du total européen – 7155 cas), suivi par les Pays-Bas (17% – 2510 cas).

Au niveau européen, le taux de reconnaissance était de 51% en première instance et de 27% en appel. En France, le taux de rejet s’élevait à 62,3% en première instance et à 78,4% en appel, plus strict donc que la moyenne mais plus souple que nombre de pays, comme le Portugal (presque 100% de rejet dans les deux cas). A noter que le taux de rejet est quasi-systématiquement plus élevé en appel.

Une fois ces quelques constats posés, passons aux différentes initiatives mentionnées ci-avant.

La Commission européenne, en confiance dans le contexte actuel, propose une liste de pays « sûrs » pour le retour des migrants déboutés de l’asile en Europe

La proposition européenne (texte pur ici, uniquement en anglais) est en réalité composée d’une liste nouvelle de pays sûrs et d’une accélération de la mise en œuvre des dispositions déjà votées du pacte sur l’asile et la migration. La première venant simplement en renforcement du second, comme une sorte de complément politique pour tenir compte des dernières tendances électorales sur le continent – et donner des gages aux Etats les plus touchés par les arrivées de migrants (Italie en tête). Il s’agit dès lors de faciliter la mise en place de solutions accélérées pour les demandes manifestement vouées au rejet (migrations économiques et non basées sur une atteinte à la sécurité personnelle).

Point d’attention : dans tous les cas, on parle ici de pays d’origine ; c’est-à-dire qui ne réadmettraient que leurs propres ressortissants entrés illégalement en Europe, et non de centres d’accueil ayant vocation à prendre en charge diverses nationalités. Autre précision d’importance, malgré la définition d’une liste de pays, les Etats-Membres (EM) ne sont pas dispensés d’examiner de manière individuelle les demandes adressées par les personnes migrantes – qu’importe leur pays d’origine. C’est simplement la procédure de retour qui pourra être accélérée, et non l’entièreté du processus. Aussi, le concept de « pays sûr » repose sur l’existence d’un lien personnel entre le demandeur d’asile et son pays d’origine – lien que la Commission réfléchit à assouplir voire à supprimer afin d’augmenter le nombre de pays admissibles à ce qualificatif.

Premièrement, concernant la liste de pays sûrs, celle-ci comporte deux aspects :

  • Les pays candidats à l’adhésion sont automatiquement réputés sûrs car ils doivent en principe remplir – ou sincèrement tenter de remplir – les critères menant à leur intégration au sein de l’UE. On parle ici de la stabilité des institutions garantissant la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme et le respect/la protection des minorités. Ces pays sont : la Turquie, la Moldavie, la Géorgie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, l’Albanie et la Macédoine du Nord. L’Ukraine, pour des raisons évidentes, n’est pas concernée.
  • Une liste nouvelle de sept Etats, non-candidats à l’adhésion. Elle comporte : le Kosovo (non reconnu comme candidat à l’adhésion), le Bangladesh, la Colombie, L’Egypte, l’Inde, le Maroc et la Tunisie. Cela signifierait en pratique que les ressortissants de ces pays auraient très peu de chances d’être reconnus réfugiés s’ils en font la demande en Europe.

Cette liste n’est absolument pas figée, et peut parfaitement être étendue, révisée, suspendue, amoindrie au fil du temps, en fonction de l’évolution du phénomène migratoire dans son ensemble et des dynamiques à l’œuvre dans les pays tiers considérés. Les positions de la Commission, pour déterminer la liste comme pour l’actualiser, se basent sur les analyses fournies par l’agence européenne chargée de l’asile (EUAA – European Union Agency for Asylum, basée à Malte) ainsi que sur des éléments provenant d’autres sources : SEAE (service diplomatique européen), Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU ou alors directement issues des EM. Des ONG ont aussi été consultées, ce qui ne les a, dans l’ensemble, pas empêché de dénoncer fermement cette initiative – tout comme certains partis politiques tels Les Verts/ALE qui comptent voter contre cette proposition.

Concernant la méthodologie, la Commission affirme avoir pris en compte plusieurs critères afin de déterminer quels pays seraient « sûrs », en se basant notamment sur les Etats en provenance desquels les ressortissants introduisent leurs demandes d’asile ainsi que sur les pays d’origine dont le taux de reconnaissance, à l’échelle de l’UE, est inférieur ou égal à 5% du total des demandes introduites.

Précision subsidiaire, cette liste se présente sans préjudice des dispositions de nature similaire déjà existantes dans les EM. Elle n’a vocation qu’à la compléter et à assurer une application uniforme du concept de « pays d’origine sûr ». Par ailleurs, la Commission prévoit encore d’autres critères pour tempérer le caractère automatique de la reconnaissance des pays candidats à l’adhésion comme pays d’origine sûrs :

  • Violences aveugles et/ou conflits ;
  • Sanctions adoptées par le Conseil à l’égard dudit pays ;
  • Taux de reconnaissance supérieur à 20%, à l’échelle de l’UE, des demandes d’asile provenant de ce pays.

Des cas assez limités donc, qui ne devraient pas remettre en question le rôle déjà joué – par exemple – par la Turquie dans la politique européenne de gestion des migrations.

Pour autant, on l’a dit, cette proposition a été critiquée par des ONG, certains médias et les groupes de gauche au Parlement européen (tels Les Verts/ALE), ce qui était prévisible. Tellement prévisible que la Commission a intériorisé ce phénomène en justifiant spécifiquement le caractère de « pays sûr » en ce qui concerne l’Egypte et la Tunisie, deux « démocraties » dont les violations des Droits de l’Homme ont été à plusieurs reprises dénoncées ces derniers temps.

La Commission estime pour l’Egypte qu’il n’y a pas de risque systémique de persécutions ou de mauvais traitements – comme semblent l’attester les moins de 4% de reconnaissance d’asile. Elle estime aussi que, bien qu’il existe toujours des préoccupations quant à la gouvernance ou aux libertés fondamentales, Le Caire a « intensifié son engagement en matière de Droits de l’Homme ». La Tunisie est déjà un pays sûr pour dix EM (l’Egypte pour six), et Bruxelles estime qu’il n’y a pas de « répression systématique à grande échelle », en dépit d’atteintes certaines à la liberté de la presse et aux libertés fondamentales tout comme à l’emprisonnement d’opposants politiques au président.

Par ailleurs, et ainsi qu’il a été mentionné, les personnes provenant d’un pays sûr mais qui démontreraient une persécution ou une discrimination, notamment en raison de leur minorité, pourront toujours avoir droit à une protection après un examen individualisé de leur situation.

Secondement, il s’agit d’appliquer plus rapidement des dispositions déjà votées dans le cadre du Pacte sur l’asile et la migration. Ces dispositions, initialement prévues pour entrer en vigueur en juin 2026 pourraient être accélérées sans délai. L’objectif est le même : traiter plus efficacement les demandes d’asile émanant de personnes dont la situation rendra ladite demande infondée. Deux points sont mis en avant :

  • Le premier a trait au taux de reconnaissance seuil de 20%. Les EM seront autorisés à appliquer les procédures accélérées dès lors qu’une personne sera en provenance d’un pays où, en moyenne européenne, 20% ou moins des demandeurs de ce pays se voient octroyer une protection internationale.
  • Le second autorise des exceptions au concept de « pays tiers sûr » et « pays d’origine sûr », ce qui donne la possibilité aux EM d’exclure des régions spécifiques ou des catégories précises de personnes de cette nomenclature. Par exemple, l’Espagne ne reconnaît pas le Kosovo comme un Etat indépendant et n’y renverra donc personne.

A partir de maintenant, la balle est dans le camp des deux colégislateurs (Parlement européen et Conseil) qui doivent s’entendre pour adopter cette proposition. Une précédente initiative à l’objet similaire avait échoué en 2015, faute d’accord.

Une proposition européenne inspirée par l’Italie dont la politique semble faire florès… mais qui n’est pas non plus exempte de nombreux obstacles à sa pleine efficacité opérationnelle

Il n’est pas nouveau que l’Italie représente une des portes d’entrée privilégiées pour les migrants en provenance d’Afrique, sa situation géographique la prédisposant à ce genre de flux. Il n’est pas non plus surprenant que son Gouvernement soit parmi les plus actifs à l’échelle européenne afin de sortir par le haut de telles difficultés, et ainsi alléger la pression qui pèse sur lui. En fonction depuis octobre 2022, la Première Ministre Giorgia Meloni est arrivée au pouvoir avec la promesse de remettre de l’ordre dans la politique migratoire et de lutter contre les centaines, voire les milliers, d’arrivées quotidiennes sur les côtes italiennes de Lampedusa. Une des idées « choc » est de transférer les migrants clandestins et dont la demande d’asile a peu de chance d’aboutir favorablement vers un centre situé en dehors du territoire, et de l’UE. Un accord avec le gouvernement albanais a d’ailleurs été signé en ce sens. Après les doutes/cris d’orfraie initiaux, la proposition a – au moins en partie – été reprise plusieurs fois, notamment par l’exécutif européen.

Ainsi, depuis 2023, l’Italie a mis en place une procédure accélérée pour les demandeurs d’asile masculins adultes interceptés en mer provenant d’un pays sûr. Ceux-ci auraient dû, dans l’idée, être transférés dans un centre de rétention en Albanie dans l’attente de leur expulsion. Cette politique ferme est un succès diplomatique certain pour le gouvernement italien, qui permet de repositionner Rome sur un échiquier européen où Paris et Berlin sont actuellement un peu palots. Il faut cependant noter certains écueils de natures diverses qui ont empêché jusqu’à présent de transformer cette idée auparavant un brin provoquante en solution efficace et opérationnelle.

En premier lieu, le Gouvernement italien a eu maille à partir avec sa propre justice. Le protocole d’accord établi avec Tirana a en effet été contesté en raison de la classification même de « pays sûr », et les tribunaux n’ont pas considéré que l’Egypte ou le Bangladesh rentraient dans cette catégorie. La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a aussi été saisie de plusieurs questions préjudicielles posées par le juge italien, afin de déterminer la conformité d’un tel accord au regard des traités européens – pour une décision attendue en mai.

A cet égard, les conclusions de l’avocat général rendues le 10 avril 2025 sont très intéressantes et adoptent une subtile posture d’arbitrage (voir texte et communiqué de presse). Il y est estimé qu’un EM peut désigner un Etat tiers comme un pays d’origine sûr par un simple acte législatif interne. En revanche, dans le cadre du contrôle de légalité de l’acte législatif en question, la juridiction doit disposer des sources d’information ayant servi de base à cette catégorisation – c’est-à-dire les éléments qui ont incité à désigner le pays comme « sûr ». En l’absence de telles données, la juridiction établit sa propre appréciation du caractère sûr d’un pays sur la base des informations à sa disposition. En outre, le renvoi d’un migrant est possible même si des risques de persécution existent pour certaines catégories de personnes dans l’Etat tiers – à condition que le migrant en question n’appartienne pas à ces catégories. Concrètement, si la CJUE suit l’opinion de l’avocat général, les tribunaux italiens devront appliquer sa jurisprudence et donner globalement raison au Gouvernement italien sur la politique qu’il souhaite mener.

En attendant le dénouement judiciaire, le presque millier de places crées est quasi vide. Pour tenter de contourner les recours et réactiver le protocole, le centre de Gjader a été transformé en « centre de détention pour rapatriement », devant accueillir des migrants illégaux en instance d’expulsion – ce qui ne change pas fondamentalement l’objectif. Il fonctionnera selon les règles et procédures s’appliquant aux centres similaires existant en Italie. L’autre centre en territoire albanais, à Shengjin, devant être dédié aux contrôles.

Cependant, de nombreux juristes ont fait valoir qu’un transfert de migrants sur un Etat tiers posait des problèmes juridiques au regard des accords internationaux et du droit européen actuel. La révision susmentionnée prend alors tout son sens, attendu qu’à l’heure actuelle un migrant ne peut être transféré vers un pays tiers que s’il y consent librement. Illustration concrète de tout cela, la Cour d’appel de Rome a statué le 21 avril 2025 en concluant qu’un demandeur d’asile ne pouvait être détenu en Albanie et devait donc être renvoyé en Italie le temps du traitement de sa demande.

En second lieu, ces contraintes juridiques entraînent une complexification des processus logistiques, et donc des surcoûts dans les procédures de renvoi. La toute première expulsion d’un migrant clandestin passé par un centre albanais n’a été réalisée que fin avril 2025, et encore. Celui-ci, originaire du Bangladesh, n’a pas été renvoyé depuis l’Albanie mais a dû être conduit en Italie pour prendre son avion. Selon le journal La Repubblica, les quatre trajets nécessaires pour le conduire et le ramener en Italie (en moins d’une semaine) ont coûté plus de 5 000 euros. Bien au-dessus du montant classique pour une expulsion, estimé à environ 2 800 euros dans le pays. Ce qui fait dire à l’opposition qu’il s’agit d’un gâchis de temps, d’argent et de ressources publiques.

C’est un double questionnement qui se dessine ici. D’une part, quelle est la pertinence d’avoir des centres en Albanie si, au final, l’expulsion doit avoir lieu depuis le sol italien ? Surtout en cette période d’incertitude juridique où le dispositif n’est pas encore opérationnel faute d’aval judiciaire. Une réponse pourrait tenir dans la volonté « d’affichage politique » du gouvernement italien, au même titre que les quarante migrants arrivés dans les centres albanais en avril 2025… mais dont une partie a déjà été renvoyée sur le sol transalpin (pour raisons de santé ou de demande d’asile). Le calendrier électoral et la nécessité de donner des gages à l’électorat-cible de la coalition au pouvoir peuvent dès lors inciter à mettre la charrue avant les bœufs.

D’autre part, quelle est la soutenabilité d’un tel échafaudage ? Il ne surprendra personne que le budget italien – toutefois plus lisible que celui de la France ces derniers temps – reste soumis à des variables précaires. Rome a déjà toutes les peines du monde à se conformer à l’objectif de 2% du PIB pour sa défense, malgré un contexte brûlant. Comment dès lors dégager les ressources nécessaires pour se permettre de dépenser 5000 euros par migrant expulsé, alors que des dizaines, voire des centaines, de milliers de migrants sont potentiellement concernés par une telle mesure ? En corollaire, la capacité logistique des centres albanais ne pourra être suffisante pour concentrer tous les clandestins en attente d’expulsion, et les centres situés en Italie continueront donc de représenter une large part du potentiel de rétention administrative. Il n’y aura donc pas de « remplacement » ou « d’extériorisation » totale ; au mieux une augmentation globale de la capacité de rétention – et à grands frais.

Côté français, un soutien fort pour la position européenne jugée cohérente avec la posture toujours défendue, mais non dénuée d’intérêt au regard des demandes anglaises

Une telle révision de la politique migratoire adoptée par l’UE serait susceptible d’intéresser la France, qui plaide de manière constante pour un renforcement des coopérations européennes et la mise en place d’une réelle solution commune à l’échelle du continent. Paris a en effet, et entre autres zones tendues, à gérer le cas de la frontière maritime avec le Royaume-Uni, une des plus fréquentées d’Europe et sur laquelle les tentatives de traversées sont quotidiennes.

Les accords franco-britanniques – hors, donc, de tout cadre européen – conduisent Londres verser 540 millions d’euros sur la période 2023-2026 afin de financer une meilleure protection du littoral nordiste et dissuader les migrants de traverser la Manche, la mer la plus fréquentée au monde. Fin février 2025, les deux pays avaient annoncé avoir étendu jusqu’en 2027 les accords de Sandhurst, qui voient le Royaume-Uni financer une partie de la lutte contre l’immigration clandestine – au prix d’une âpre discussion sur les considérants budgétaires. Cette année supplémentaire obligera Londres à cofinancer des projets supplémentaires comme un centre de rétention administratif à Dunkerque, la formation de pilotes de drones ou encore de nouveaux cantonnements de CRS sur le littoral.

Dans la lignée de ce renouvellement, Paris et Londres seraient en pourparlers pour un nouvel accord sur la gestion des migrations dans la Manche. D’après le Financial Times, les deux pays travailleraient sur un mécanisme autorisant le gouvernement britannique à renvoyer une partie des migrants arrivés illégalement sur son sol en France. En retour, il accepterait l’envoi de migrants ayant un motif légitime d’immigration, comme par exemple un regroupement familial. Le tout selon un principe de un-pour-un.

Par ailleurs, le travail conjoint entre les deux pays est appelé à se renforcer, notamment avec l’envoi d’observateurs britanniques dans les centres de contrôle français. Cependant, Paris ne cède pas à toutes les demandes britanniques, et refuse avec constance de donner suite aux demandes de patrouilles conjointes ou d’examen des demandes d’asile britanniques directement sur le territoire français.

Si un tel mécanisme venait à voir le jour (nous n’en sommes pour le moment qu’au stade des discussions préliminaires), ce serait un tournant significatif dans la posture de la France sur le sujet, d’ordinaire davantage encline à attendre une solution européenne. Une justification avancée par le quotidien britannique a trait à la possible dissuasion que représenterait ce nouvel arrangement – tant pour les trafiquants d’êtres humains que pour les migrants eux-mêmes. Paris aurait en effet tout à gagner à voir le flux de migrants et de passeurs se tarir, en ce qu’ils représentent une consommation de forces de l’ordre non négligeable. Néanmoins, le Ministère de l’Intérieur, s’il confirme la tenue de ses discussions, estime que cela ne peut être qu’un « projet-pilote » anticipant un réel schéma à l’échelle européenne.

Du point de vue britannique en revanche, cette posture serait dans la droite lignée des précédentes initiatives déjà lancées, ainsi que des promesses du Premier ministre Keir Starmer. Si ce dernier a opposé un refus ferme à tout accord de type « Rwanda », la piste des coopérations internationales reste privilégiée par son Gouvernement – et les pourparlers ne se limitent pas à la France mais concernent une grande partie de ses partenaires continentaux. Le Royaume-Uni fait en effet face à un sujet à la sensibilité électorale croissante, ainsi que l’attestent les résultats électoraux dynamiques du parti Reform UK (dirigé par le populiste Nigel Farage). En effet, depuis le début de l’année, plus de 8000 migrants ont réussi à rejoindre le sol britannique, en hausse de 30% par rapport à la même période en 2024 – une année qui avait vu le nombre de small boats croître d’un quart.

Cependant, rien ne dit que cet accord verra le jour – tout particulièrement à l’échelle européenne. Nombre de pays ne veulent pas accepter des migrants déboutés de l’asile au Royaume-Uni alors qu’ils sont déjà confrontés à des défis importants pour ceux qui se trouvent sur leur sol. L’évolution des tendances électorales privilégiant un discours nettement anti-immigration ne facilite pas non plus la conclusion d’accords de ce type. Sans surprise, les ONG de défense des migrants n’ont pas de mots assez durs pour critiquer ce possible accord post-2027.

Il faut enfin préciser que celui-ci, s’il permettra au Ministère de l’Intérieur d’obtenir davantage de matériel et de personnel formé ne réglera pas tout, particulièrement en ce qui concerne les aspects doctrinaux. Une récente évolution observée sur le terrain consiste ainsi à ce que les passeurs amènent l’embarcation directement depuis la mer, évitant l’interception sur les plages et empêchant de ce fait l’intervention des forces de l’ordre au-delà du trait de côte.

Une agitation politique et normative pour, peut-être, pas grand-chose d’utile finalement

Au global, le point commun de toutes ces initiatives est leur relative proximité philosophique : puisque la situation est devenue ingérable sur notre sol, essayons d’extérioriser le problème. In fine, le problème n’est pas tant du côté des Etats choisis pour accueillir ces demandeurs. Que l’on parle du Rwanda, de l’Albanie ou, bientôt, d’autres encore, tous y voient un intérêt financier et politique certain. La démarche n’est pas nouvelle non plus, le cas turc (depuis 2016-2017) étant porteur de certaines similarités. Mais une fois l’idée de créer des centres extérieurs validée, l’implémentation concrète est un chemin semé d’embûches ; et la « bonne idée » européenne peut très rapidement se transformer en casse-tête.

Législatif et légal d’abord : cette idée rebute une partie de la classe politique et nécessite, au moins au Parlement européen, un jeu d’alliances dont il sera intéressant de suivre l’évolution – et notamment de savoir si le PPE et les partis situés à sa droite se coaliseront ou si l’alliance traditionnelle PPE/Renew/S&D perdurera au prix de compromis. Après cela, la justice peut ensuite entrer en jeu, au nom des libertés fondamentales et des Droits de l’Homme (comme dans le cas italien) ; notion dont, au passage, l’extensivité diverge entre l’Europe et les pays tiers concernés.

Logistique ensuite : entre le coût individuel d’une « déportation », la nécessité de construire de nouvelles infrastructures ex nihilo et l’entretien courant des structures, le poids d’une telle politique à une échelle un tant soit peu rehaussée par rapport au cas italien peut vite engendrer des surcoûts majeurs pour les finances européennes. Rien ne dit non plus que les pays d’accueil voudront bien accepter le retour de l’entièreté de leurs ressortissants concernés (un migrant qui travaille, même illégalement, en Europe peut rapporter de précieuses devises via les transferts monétaires).

Sur le terrain enfin : qui peut affirmer que ces centres seront le game changer pour éviter de nouvelles vagues migratoires de grande ampleur ? Ils auront, au mieux, une vocation dissuasive pour amoindrir les flux de candidats au départ, mais il est illusoire de croire qu’ils stopperont toute immigration clandestine. Les migrants venus de pays où ils n’y ont rien à perdre ne seront pas dissuadés et tenteront quand même leur chance, ainsi que le montre le nombre de traversées vers le Royaume-Uni depuis plus de 20 ans, en dépit des initiatives successives mises en place.

Ainsi, même si la proposition européenne est adoptée, elle ne se substituera pas à une redéfinition plus sérieuse de la politique de gestion des migrations, aussi bien au niveau européen que national. Si les récentes initiatives témoignent d’un volontarisme politique, sinon nouveau, au moins un tant soit peu tangible, les solutions avancées manquent encore de maturité et les premières itérations ne se font pas sans accrocs. Dans tous les cas, le chemin est encore long avant de pouvoir claironner que l’Europe a relevé le défi que représentent les flux migratoires ; ne serait-ce que parce que certains des principaux pays d’origine des migrants arrivés illégalement ne sont pas inclus dans les différents projets présentés : Syrie, Afghanistan, Comores ou… Algérie.