– Par Bruno Lafon, Président de la DFCI (Défense des Forêts Contre l’Incendie) en Nouvelle Aquitaine et Pierre Macé, Directeur.
Une année 2025 record pour l’Europe et la France
L’année 2025 a été difficile en termes de feux de forêt. L’Europe a battu les records de surfaces brûlées avec plus d’un million d’hectares détruits au 9 septembre, après deux semaines particulièrement éprouvantes, du 5 au 19 août, ayant vu la destruction de 334 000 ha puis de 251 000 ha. Ces cumuls sont trois fois supérieurs aux moyennes enregistrées depuis 2006.
La France n’a pas été épargnée, avec 36 000 ha touchés au plan national (soit 2,5 fois la moyenne), dont l’incendie de Ribaute, dans l’Aude, qui a détruit 11 133 ha en cinq jours, avec une puissance très importante. Ces éléments font suite à la saison estivale de 2022, où la France avait vu brûler 71 000 ha, dont 28 900 ha en Gironde.
Ces événements sont riches d’enseignements sur l’évolution du risque de feu de forêt. Il convient de changer de paradigme, sans quoi la récurrence et la puissance des incendies pourraient perturber la sécurité du territoire, l’économie et l’environnement.
À titre d’exemple, l’année 2022 en France (71 000 ha brûlés), et en particulier dans le Sud-Ouest (36 700 ha brûlés), illustre une rupture dans le processus de protection du territoire contre les incendies.
Le dérèglement climatique rend les conditions de protection très difficiles. L’été 2022 a battu simultanément des records de température (+1,5 °C) et de sécheresse (75 % des précipitations normales), en Gironde, avec des journées à 42 °C et moins de 8 % d’hygrométrie. Plus inquiétant : les records concomitants de sécheresse et de température s’installent depuis 2000.
Dans le Sud-Ouest, la saison des feux de forêt a duré trois mois sans interruption. Si aucun mort n’est à déplorer, 55 000 personnes ont été évacuées, 19 maisons détruites et plus de 2 000 propriétaires sinistrés. Le climat de l’été 2022 n’est pas une exception, mais s’inscrit dans une tendance durable.
Pression démographique et vulnérabilité accrue
À cela s’ajoute un accroissement structurel de la population (+22 000 personnes par an en Gironde) qui, d’une part, augmente le risque de départs de feu (90 % sont d’origine anthropique) et, d’autre part, entraîne un développement des enjeux et des cibles (population, habitations, industries, sites stratégiques de défense… soit 20 constructions pour 100 ha brûlés). Cet accroissement démographique est particulièrement marqué sur les zones côtières (+26 % depuis 1975 sur les EPCI du littoral, contre +18 % sur le reste du territoire) et se retrouve à l’échelle mondiale, puisque 20 % de la population vit à moins de 30 km des côtes.
Les incendies peuvent aussi avoir un effet pénalisant sur la défense française, en menaçant les industries de l’armement, nombreuses dans la périphérie bordelaise, ainsi que les camps militaires. Lors des incendies de l’été 2022, les panaches de fumée auraient pu avoir des conséquences plus marquées sur les bases aériennes de Mont-de-Marsan et de Cazaux.
L’aménagement du territoire au cœur de la prévention
Une grande vigilance doit être apportée à l’aménagement du territoire, notamment dans les zones urbaines et les interfaces forêt-habitation (PLUI, SCOT…). La masse de combustible doit être maîtrisée, notamment par l’application des Obligations Légales de Débroussaillement (OLD). Les injonctions contradictoires entre les réglementations environnementales et sécuritaires ne facilitent pas leur application. Il convient de laisser aux préfets plus de latitude dans la hiérarchisation des priorités, pour éviter la paralysie du système de protection.
Suite aux tempêtes de 1999 et 2009, le massif des Landes de Gascogne compte 350 000 ha de peuplements de moins de 30 ans. Jamais dans son histoire ce massif n’a connu une telle continuité dans la structure des peuplements sensibles au feu, en raison de la continuité verticale de la végétation. Contrairement aux idées reçues, la surface forestière et les volumes de bois sur pied augmentent également en métropole, notamment grâce aux peuplements du Fonds forestier national. « Le stock de bois vivant a augmenté de 50 % en 30 ans pour atteindre 2,8 milliards de m³ » (source : IGN).
Pourtant, la forêt métropolitaine devient globalement émettrice de carbone, en raison de son mauvais état sanitaire, du vieillissement et du ralentissement du renouvellement. Les quatre principaux incendies en Gironde ont relâché plus de 5 millions de tonnes équivalent CO₂ (source : Forêt Innovation 23_003). À certains endroits, la litière a baissé de 80 cm et le feu s’est enterré à plus d’un mètre. Outre l’augmentation de la masse de combustible, le dépérissement global de la forêt s’accroît, lié aux attaques de pathogènes (insectes, champignons…) sur des peuplements stressés. La mondialisation des échanges intensifie cette menace.
Adapter la forêt au climat de demain
Le défi pour les forestiers est majeur : choisir des essences adaptées aux conditions pédologiques et climatiques actuelles et futures. Comment favoriser des essences capables de survivre dans 50 ans tout en se développant aujourd’hui ? Il convient de mettre en place des peuplements présentant un intérêt économique ou écologique suffisant pour garantir leur entretien, tout en facilitant leur sécurisation.
Les feux de forêt sont majoritairement d’origine anthropique (90 % des départs). Les surfaces brûlées ne sont que la conséquence des départs de feu : les feux les plus faciles à éteindre sont ceux qui ne démarrent pas. Il faut donc renforcer la sensibilisation aux bons gestes : ne pas jeter de mégot, respecter les interdictions d’accès, appliquer les règles de débroussaillement. Le travail des cellules de Recherche des Causes et Circonstances d’Incendies d’Espaces Naturels (RCCI-EN), coordonné par les préfets et associant sapeurs-pompiers, gendarmerie, police et forestiers, doit être poursuivi et renforcé, notamment en lien avec les magistrats.
Un territoire valorisé est un territoire protégé. La forêt représente une opportunité pour la protection du territoire et pour son économie. La balance commerciale du secteur forestier est déficitaire de 6 milliards d’euros, mais la prévention des risques doit être intégrée à l’aménagement forestier : réseau de pistes, taille des parcelles, continuité des massifs, etc. L’Union européenne apporte un financement structurel via le FEADER, complété par des contreparties nationales, notamment celles des régions. Dans le cadre du futur plan 2027, il convient de maintenir des priorités structurantes d’aménagement du territoire, garantes d’une économie globale.
Le besoin financier en prévention contre les incendies est estimé à 34 millions d’euros par an. La ligne budgétaire DFCI du ministère de l’Agriculture (BOP 149) est historiquement d’environ 18 millions d’euros, portée à 51 millions en 2024 grâce à des crédits exceptionnels. Il serait plus cohérent de stabiliser ce financement sur la ligne historique.
Conclusion : anticiper et renforcer la résilience
Il est nécessaire de rester humble face à l’ampleur des événements et de faire des choix en matière d’aménagement et d’entretien, en complément des actions de lutte. Il faut anticiper les effets de rupture dans le système de protection contre les incendies de végétation pour réduire la vulnérabilité. Si cette culture du risque n’est pas intégrée dès maintenant, dans des conditions climatiques de plus en plus instables, ni les meilleurs hommes ni les meilleures techniques ne suffiront face à l’ampleur des éléments.
Bruno Lafon et Pierre Macé