Source exploitée : Rapport de la Cour des Comptes
Introduction
La Cour des comptes a présenté en novembre 2025 une analyse détaillée de la situation financière de la Sécurité sociale, à la demande de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Ce document actualise l’état des comptes sociaux pour l’année 2025, évalue les mesures inscrites dans le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 et examine la trajectoire probable des déficits jusqu’à la fin de la décennie.
L’analyse porte sur l’ensemble des régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale (Robss) ainsi que sur le Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Elle éclaire les facteurs de la dégradation observée depuis 2023, la réalité des efforts engagés pour redresser la situation et les risques financiers qui pèsent désormais sur le système, en particulier en matière de trésorerie et de dette sociale.
1. Une dégradation financière marquée en 2025
1.1 Un déficit qui double en deux ans
L’année 2025 est marquée par une dégradation significative des comptes sociaux. Le déficit cumulé des Robss et du FSV devrait atteindre 23 milliards d’euros, selon les prévisions du PLFSS pour 2026. En deux exercices, ce déficit aura doublé, ce qui constitue — hors période exceptionnelle liée au Covid-19 — le niveau de déséquilibre le plus élevé depuis 2012.
Cette aggravation s’explique principalement par un écart croissant entre la dynamique des dépenses et celle des recettes. Les charges progressent plus rapidement que les ressources, ce qui instaure une tendance structurelle à la détérioration.
1.2 Des branches inégalement affectées
Toutes les branches de la Sécurité sociale ne contribuent pas de manière équivalente à cette dégradation :
- La branche maladie présente le déficit le plus important. Elle atteint plus de 17 milliards d’euros, en hausse de 3,4 milliards par rapport à 2024. Ce déséquilibre s’explique par la croissance continue des dépenses de soins, l’augmentation des prix, les revalorisations salariales dans les secteurs sanitaire et médico-social, ainsi que les effets de plusieurs réformes antérieures encore en phase de montée en charge.
- La branche autonomie, qui finance notamment la dépendance et certaines prestations destinées aux personnes âgées, redevient déficitaire. Ses dépenses progressent plus vite que ses recettes, dans un contexte de vieillissement de la population.
- La branche accidents du travail – maladies professionnelles (AT-MP) enregistre elle aussi un déficit, en partie lié à des transferts financiers entre régimes.
- La branche famille demeure la seule en excédent, mais celui-ci se réduit sensiblement par rapport aux années précédentes.
1.3 Des facteurs structurels à l’origine du déséquilibre
Plusieurs éléments expliquent la dégradation générale :
- Une dynamique de dépenses structurellement élevée, notamment dans la branche maladie et dans les secteurs médicosociaux.
- Des recettes qui progressent moins vite que prévu, en raison d’hypothèses macroéconomiques jugées optimistes. Pour la troisième année consécutive, les prévisions, notamment celles concernant la TVA affectée à la Sécurité sociale, ont été surestimées.
- Des mesures votées insuffisantes pour compenser la dynamique naturelle des dépenses. Même les économies prévues ne permettent pas de stabiliser la situation.
- L’activation d’une procédure d’alerte sur l’ONDAM, qui reflète le risque élevé de dépassement de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie.
2. Le PLFSS 2026 : une stratégie de redressement, mais fragile
2.1 Un effort en recettes limité
Le PLFSS 2026 prévoit un effort supplémentaire de 2 milliards d’euros de recettes nettes. Cet apport vise à répondre à l’écart croissant entre dépenses et ressources, mais son ampleur est qualifiée de modérée au regard de la situation. Les mesures concernent essentiellement des ajustements de taux ou d’assiettes de contributions, ainsi que des réaffectations de ressources.
2.2 Un programme d’économies d’environ 9 milliards d’euros
Le projet de loi prévoit également près de 9 milliards d’euros d’économies. Celles-ci portent sur plusieurs leviers :
- maîtrise des dépenses de santé ;
- régulation des prescriptions et des dépenses de médicaments ;
- réorganisation de certaines prestations ;
- trajectoire encadrée pour les établissements de santé et médico-sociaux.
Toutefois, la réalisation effective de ces économies dépendra de la capacité des acteurs à adapter rapidement leur gestion, ce qui constitue un point d’incertitude important.
2.3 De fortes incertitudes entourant la trajectoire proposée
Le redressement proposé par le PLFSS repose sur des hypothèses macroéconomiques sensibles (inflation, croissance, évolution de la masse salariale). Si ces hypothèses ne se matérialisent pas, les gains attendus pourraient être réduits.
La Cour souligne que la trajectoire de retour à l’équilibre reste fragile, car elle dépend :
- de l’exécution stricte des économies ;
- de l’absence de chocs économiques ou sanitaires ;
- d’une maîtrise réelle des dépenses de santé, historiquement difficile à obtenir.
3. Dette sociale, trésorerie et risques financiers
3.1 Une accumulation de déficits jusqu’en 2029
Selon les projections de la Cour, les déficits pourraient se maintenir jusqu’en 2029, même avec les mesures prévues dans le PLFSS 2026. Cette persistance créerait une nouvelle vague de dette sociale potentiellement importante.
Cette perspective appelle des décisions rapides pour éviter que la dette accumulée ne rende plus difficile le financement courant des prestations sociales.
3.2 Le rôle de la CADES et la question de la reprise de dette
La CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale) pourrait être mobilisée pour absorber une partie de cette nouvelle dette. Toutefois, la Cour souligne qu’une reprise n’a de sens que si les comptes sociaux reviennent sur une trajectoire crédible d’équilibre. Sans cela, la CADES serait mobilisée sans que la situation structurelle ne soit corrigée.
3.3 Un risque croissant de tension de trésorerie
L’ACOSS, qui gère la trésorerie de l’ensemble des régimes, fait face à un besoin de financement qui augmente à mesure que les déficits s’accumulent. Ce besoin pourrait conduire à un risque de liquidité sérieux, obligeant à mobiliser davantage d’emprunts de court terme.
La Cour alerte sur le fait que ces tensions, si elles se prolongent, pourraient à terme fragiliser la capacité du système à assurer le versement régulier des prestations.
Conclusion
L’analyse de la Cour des comptes met en évidence une situation financière préoccupante pour la Sécurité sociale. Le déficit, en forte augmentation depuis deux ans, résulte d’un décalage structurel entre la dynamique des dépenses — particulièrement celles de santé — et celle des recettes.
Le PLFSS 2026 propose une stratégie comportant des hausses de recettes et d’importantes économies, mais la réussite de ce plan reste incertaine. La trajectoire de retour à l’équilibre nécessite :
- une mise en œuvre rigoureuse des économies prévues,
- une évolution macroéconomique conforme aux prévisions,
- des réformes structurelles pour maîtriser durablement la dépense de santé.
À moyen terme, la persistance des déficits conduit à envisager une reprise de dette par la CADES. Cependant, cette solution ne serait efficace qu’en complément d’un redressement budgétaire solide. Enfin, la Cour attire l’attention sur le risque de tension croissante sur la trésorerie de l’ACOSS, qui rend nécessaire une action rapide et cohérente.