
La Terre Adélie : un bout de France sur le continent blanc
Le 10 novembre 2023, Emmanuel Macron lançait l’Appel de Paris pour la protection des glaciers et des pôles lors du One Planet-Polar Summit. Lors de la Troisième conférence des Nations Unies sur les océans, le 9 juin dernier, le président de la République ajoutait que “les abysses ne sont pas à vendre, pas plus que le Groenland n’est à vendre, pas plus que l’Antarctique ou la haute mer ne sont à vendre.” Faisant référence aux déclarations récentes du nouveau président américain, il s’agirait donc bel et bien de s’inscrire en faux de sa logique d’appropriation pour sanctuariser certains espaces. C’est déjà particulièrement le cas de l’Antarctique.
Par Pierre Erceau
Le contexte Antarctique
Vaste étendue continentale de 14 millions de km², l’Antarctique ou “continent blanc” est le territoire le plus froid et le plus élevé au monde. Malgré l’omniprésence de glace (98% de la surface), il est aussi le plus sec et reçoit très peu de précipitations. Balayé en permanence par des vents extrêmes, il constitue 80% des réserves d’eau douce de la planète avec une couche de glace de 2000 m en moyenne. Ce climat laisse très peu de place à la végétation mais autorise la vie sur ses zones littorales qui sont colonisées par de nombreuses espèces d’oiseaux à commencer par les manchots, phoques, côtoyées égalements par des baleines et autres animaux marins.
Soumis au régime du traité de l’Antarctique depuis 1959 puis au protocole de Madrid qui régit la protection de l’environnement du continent, l’Antarctique est désormais une “réserve naturelle consacrée à la paix et à la science” (Article 2).
Considérée comme “terra nullius” car ne comptant pas de population permanente, elle compte toutefois plusieurs pays dits “possessionnés” parmi lesquels la France. Ces pays, pionniers dans l’exploration antarctique, revendiquent la possession des parties du territoire antarctique. Le traité de l’Antarctique a “gelé” les revendications de ces pays, évitant de les reconnaître sans pour autant les contester frontalement.
Ainsi, alors que l’Arctique est un océan entouré de terres et constitue une interface à la croisée de plusieurs puissances et de leurs convoitises sur les ressources ; l’Antarctique, lui, fait figure jusqu’à présent d’impasse à ces velléités d’appropriation et d’exploitation. Le régime juridique du traité de l’Antarctique, l’éloignement du territoire et son caractère inhospitalier, semblent le mettre à l’abri (jusqu’à maintenant) des logiques de prédation.
L’Antarctique compte en revanche 78 bases dédiées à la recherche scientifique dont 44 sont en activité permanente. Entre 2 000 et 10 000 scientifiques s’y relaient toute l’année.
Trois points de préoccupation
Historiquement, ce sont les ressources halieutiques qui sont les plus recherchées. En Antarctique, c’est le krill, présent en grande quantité (10 à 30.000 individus par m3) qui est recherché et massivement collecté pour l’industrie agro-alimentaire et l’industrie pharmaceutique. Dans la mesure où il est à la base de la chaîne alimentaire et constitue un puits d’absorption pour le carbone, sa surexploitation est le danger le plus immédiat, qui dérègle l’écosystème et pourrait être un désastre à terme. La Norvège est le leader mondial des captures, suivie par la Chine, la Corée du Sud, le Chili et la Russie.
Deuxième point de préoccupation : le tourisme, qui est en pleine expansion. La saison 2024 aurait accueilli 100 000 touristes, chaque touriste ayant une empreinte Co2 non négligeable et pouvant amener des espèces ou des parasites exogènes sur le continent. Le tourisme et surtout son expansion, sont donc un réel danger quoiqu’encore limité pour le moment.
Enfin, le dernier point de préoccupation majeur, plus lointain mais pas des moindres, est la prospection et l’exploitation potentielle d’hydrocarbures. La Russie a notamment découvert en 2020 une réserve d’or noir de 511 milliards de barils soit le double des réserves saoudiennes dans len mer de Weddel. On estime qu’il y aurait également de vastes réserves de gaz et de divers minerais sur le continent. Certaines puissances pourraient toutefois décider de passer outre le Protocole de Madrid qui interdit actuellement toute activité minière ou d’extraction sur le continent ou de manière plus réaliste, tenter une renégociation du texte, ce qui sera possible à partir de 2048.
Et la France ? Le cas de Terre Adélie
La France est pionnière dans la recherche scientifique sur le continent. C’est le seul pays en Europe à conserver 2 stations permanentes sur place. La recherche française fait autorité sur les thématiques polaires et les publications scientifiques françaises sur le sujet se situent au 8ème rang mondial. Le CNRS est le deuxième institut au monde à proposer le plus de publications sur le sujet.
La terre Adélie – zone de revendication française en Antarctique couvre environ 390.000 km 2 et représente la revendication spatiale la plus limitée du continent. Située au sud du 60° parallèle sud, elle coupe le secteur australien entre le 136°E et le 142°E, jusqu’au pôle.
Elle dispose d’une station scientifique permanente (Dumont-d’Urville), et d’une base annexe (Cap Prud’homme) située sur le continent et dédiée à l’organisation des convois terrestres (raids) à destination de Concordia, base franco-italienne implantée à plus de 1100 km à l’intérieur des terres du continent.
La stratégie polaire de la France pour 2030, officialisée en 2023, prévoit 1 milliard d’investissements pour les pôles, une augmentation des effectifs de chercheurs, la rénovation des deux principales bases antarctiques (Dumont-D’Urville et Concordia) et la possible construction d’un nouveau navire océanographique. Mais ce plan ambitieux initialement prévu semble se heurter à un contexte budgétaire toujours plus contraint.
Actuellement en déficit de plusieurs millions d’euros, l’Institut polaire a décidé de réduire drastiquement ses activités fin avril 2025, au moment où commence la Décennie d’action pour les sciences de la cryosphère (2025-2034) et où ses infrastructures ont cruellement besoin d’une rénovation. Il faudrait par exemple 100 millions d’euros pour rénover la base permanente Dumont-d’Urville alors que la dernière prospective scientifique sur les questions polaires propose également un budget de 100 millions d’euros pour financer le programme de recherche polaire national sur les 10 prochaines années.
Base Dumont D’urville :
La base Dumont-d’Urville est située sur l’île des Pétrels, dans l’archipel de Pointe Géologie, à 5 km du continent.
Pendant l’hivernage, l’équipe compte une trentaine de personnes réparties entre les services généraux et les services scientifiques. On y trouve des laboratoires de biologie et de géophysique.
Base annexe de Cap Prud’homme :
La base annexe de Cap Prud’homme, située sur le continent à 5 km de l’île des Pétrels, est dédiée à l’organisation des convois terrestres (raids) mis en œuvre par l’IPEV afin de ravitailler la base franco-italienne de Concordia, située à 1100 km à l’intérieur du continent. C’est à proximité, dans un tunnel sous la glace, que sont entreposés durant l’hiver les véhicules du raid.
Station Concordia : caractéristiques
Son nom fait explicitement référence à la coopération internationale dont elle est une incarnation car elle est gérée conjointement par la France et l’Italie. La station Concordia est située à l’intérieur des terres, à 1100 km des côtes, sur le plateau antarctique à 3.233 mètres d’altitude. Elle compte des laboratoires de glaciologie, d’astronomie, de sismologie, et de médecine. Les conditions extrêmes de froid et d’isolement en font également un site idéal pour des études sur l’adaptation humaine. Elle compte généralement 12 à 15 hivernants et jusqu’à 70 résidents en été.