Reprendre le contrôle : l’autorité républicaine à l’épreuve du crime organisé. Pour une stratégie nationale contre l’économie mafieuse en France
Stéphane Morin, essayiste, expert en politiques publiques – Membre du CRSI
En 2024, la France a décompté 367 assassinats ou tentatives d’assassinats essentiellement liés au trafic de stupéfiants. Ces crimes ont touché 173 villes, dont de petites collectivités jusqu’ici considérées comme « bien tranquilles ».
Jamais l’économie criminelle n’a pesé aussi lourd sur notre pays. Face à la réalité d’une spirale alimentée par les milliards d’euros générés par le narcotrafic, l’Etat aligne offices, parquets et services, vote des lois toujours plus ambitieuses, multiplie les circulaires, mais ses résultats demeurent fragmentés, tardifs, insuffisamment coordonnés. Sans effet réel sur un phénomène qui, lui, continue de prospérer.
Les questions sont donc d’autant plus brutales. Jusqu’à quand l’action publique se contentera-t-elle de réagir, fragmentée et tardive, à un système qui avance de manière industrielle ? Comment un pays doté d’un arsenal juridique et policier aussi fourni peut-il laisser prospérer une telle contre-société ? Quelles ruptures stratégiques sont-elles nécessaires pour inverser cette dynamique ? La problématique est claire : comment réinventer une politique publique capable non seulement de réprimer la gangrène mafieuse, mais aussi de reprendre le contrôle des territoires, d’asphyxier l’empire du crime et de briser la culture de la violence qu’il érige en quasi-modèle pour notre jeunesse ?
La France sous l’emprise du crime organisé
Contrairement à l’Italie où elle s’est instituée en pouvoir parallèle, la criminalité organisée ne prend pas en France la forme d’une mafia nationale unifiée mais d’un écosystème relativement diffus, composite, structuré par opportunité via les marchés et l’intermédiation financière. S’y retrouvent pêlemêle de grandes organisations étrangères (‘Ndrangheta, Cosa Nostra, Camorra, Mocro Maffia néerlando-marocaine, des groupes balkaniques, russophones, triades asiatiques) auxquelles s’ajoutent des réseaux plus traditionnels et des agrégats locaux, régulièrement impliqués dans des affaires criminelles, bien connus.
La matrice de leur influence est en premier chef à trouver dans le trafic de drogues, qui irrigue toute une économie parallèle de traite d’êtres humains, de contrefaçon, de fraudes massives et de cybercriminalité. Les ports atlantiques, méditerranéens, ceux des Antilles, les couloirs logistiques et les grands centres urbains également, dessinent la carte des foyers les plus importants de cette implantation, comme autant de métastases dans un organisme vivant. Cette géographie du crime, loin d’être abstraite, illustre un long processus d’enracinement continu dont les effets ont progressivement miné et nos institutions et nos territoires.
Longtemps considérée comme marginale, cette dynamique s’est amplement consolidée depuis les premières alertes parlementaires dans les années 1990. Sa domination corrosive s’est étendue jusqu’à provoquer, dans certains quartiers, une forme de « sécession criminelle » caractérisée à la fois par le monopole des points de deal, l’usage systématique de la violence d’oppression, la redistribution des ressources illicites, ainsi que la substitution progressive et insidieuse aux fonctions économiques et sociales traditionnelles.
Plus que prospères, les revenus générés atteignent plusieurs milliards d’euros. Le marché de la drogue en France est estimé entre 3,4 et 6 milliards par an. La cocaïne connaît une progression fulgurante. 27,7 tonnes ont été saisies en 2022, 23,2 tonnes en 2023, 53 tonnes en 2024, soit plus de 130% d’augmentation, et de nouveaux records sont attendus en 2025. Les moyens de transport internationaux se diversifient (conteneurs, voiliers, cargos, « mules »), tandis que la prolifération des drogues de synthèse produites en Europe et du e-deal accroît les marges. Ainsi notre pays est-il devenu en quelques années à la fois une plateforme de transit et un marché intérieur lucratif.
Une note confidentielle de l’Office anti-stupéfiants (OFAST) récemment divulguée dresse un constat alarmant. L’hexagone compterait 2.700 à 4.000 points de deal actifs, générant chaque semaine des flux financiers considérables. Le document met en lumière une organisation pyramidale qui s’apparente à une véritable économie industrielle. Au sommet, quelques barons contrôlent l’importation, souvent basés à l’étranger (Afrique du Nord ou Dubaï) et en lien direct avec les cartels sud-américains, qui s’appuient sur une cinquantaine d’intermédiaires majeurs pour structurer la distribution nationale et assurer la continuité logistique. A l’échelon médian, logisticiens et blanchisseurs organisent l’acheminement des cargaisons, la sécurisation des flux financiers et l’intégration des profits dans l’économie légale. A la base, des milliers de revendeurs alimentent le marché de détail. Selon l’OFAST, près de 200.000 personnes en tireraient profit à des degrés divers.
La valeur ajoutée des organisations se concentre ainsi sur deux maillons : l’amont (accès aux producteurs) et le milieu (logistique portuaire et aérienne). En aval, le marché de détail demeure élastique, en mesure d’absorber l’effet des saisies par une offre surabondante.
Mais si le narcotrafic constitue bien l’essentiel du système, l’immobilier, les commerces de façade et, plus récemment, les cryptoactifs servent de vecteurs privilégiés au blanchiment et au recyclage de l’argent sale, qui démultiplient les ressources et la puissance des réseaux mafieux. En 2024, Tracfin a reçu plus de 211.000 déclarations de soupçon (+13%), majoritairement liées à des flux suspects en immobilier, commerce et finance qui sont le cœur et les poumons de nos économies libérales occidentales.
Fréquemment décrite comme « rampante » en raison de sa diffusion discrète dans les institutions et les secteurs publics et privés, la corruption en France se manifeste moins par des scandales spectaculaires que par une infiltration diffuse, au détour de conflits d’intérêts, de favoritisme, de mise en lumière de réseaux opaques. Tel un cancer, l’économie criminelle qui en découle pénètre le tissu économique, fragilise les institutions locales et sape l’autorité de l’Etat. Sans relever d’un narco-Etat, la porosité croissante entre mondes légal et illégal nourrit le soupçon d’une corruption endémique et fait craindre l’émergence de véritables narco-zones. Portés par une économie parallèle fluide, les réseaux criminels font preuve d’une résilience redoutable, quasi industrielle, érigeant la violence et le profit criminel en véritable contre-culture.
Selon l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) 2024 de Transparency International, la France a chuté à la 25e place mondiale (avec un score de 67/100), marquant une dégradation inédite découlant de scandales récents et d’une perte de confiance dans les institutions. L’Agence française anticorruption (AFA) note dans son rapport 2024 une hausse de 8,2% des atteintes à la probité enregistrées par la police et la gendarmerie, avec selon un rapport de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) un doublement des faits de corruption entre 2016 et 2024.
Ainsi de la Justice et des acteurs du système judiciaire et pénitentiaire, où des agents sont de plus en plus exposés. A Meaux, Aix-en-Provence ou Evry, certains greffiers ont transmis des éléments d’enquête confidentiels (géolocalisations, écoutes) ou commis sciemment des erreurs administratives (modification de fiches pénales, omission de transmissions) qui provoquent la chute de mandats de dépôt, l’échec de procédures et la libération de détenus liés à des trafics, quand d’autres encore consultent illégalement des dossiers pour des raisons personnelles, et nourrissent ainsi les soupçons. A Réau, Osny et Gradignan, cédant au chantage ou à l’appât du gain (500 à 2.000 euros), des surveillants ont introduit de la drogue, des téléphones et de l’alcool pour des détenus et compromis la sécurité des établissements pénitentiaires en fermant les yeux sur des règlements de compte entre trafiquants. Les syndicats alertent sur la montée des pressions fondées sur la menace plutôt que sur des pots-de-vin, qui ciblent souvent des agents débutants ou en difficulté, dans un climat qui favorise les dérives. Entre 2018 et 2023, ce sont 22 surveillants qui ont été sanctionnés pour corruption, un phénomène qualifié pudiquement d’ « épiphénomène insidieux ». Malgré les efforts de formations (800 agents formés en 2023) et un plan 2024-2027 pour renforcer audits et contrôles, la vulnérabilité du système demeure. Le « risque d’infiltration institutionnelle » dénoncé par Laure Beccuau, Procureure de la République près le Tribunal judiciaire de Paris, est immense.
Le secteur politique, les entreprises et le secteur public n’en sont pas davantage exempts. Dans son rapport de décembre 2024, Transparency International indique qu’au-delà des scandales médiatiques impliquant des personnalités aux plus hauts sommets de l’Etat (trafic d’influence, conflits d’intérêts), la sphère politique concentre 39% de l’ensemble des affaires recensées, principalement à son échelon municipal (favoritisme dans l’attribution de logements, subventions). Ce sont ces mêmes dynamiques de compromission qui s’observent dans la sphère économique, où la criminalité organisée pénètre les entreprises et les marchés publics par la corruption et les pots-de-vin, faussant les appels d’offres pour garantir contrats et profits et en s’assurant des complicités internes. Ainsi à Marseille, où des dockers ont vendu des badges portuaires jusqu’à 100.000 euros, pour faciliter l’accès aux zones logistiques. Selon l’AFA, ces pratiques traduisent une infiltration plus large des circuits économiques par les réseaux criminels.
Le spectre de la menace est bien réel.
L’Etat sous tension : l’arsenal public contre la criminalité organisée
Face à la montée en puissance du crime organisé, l’Etat a progressivement bâti depuis trente ans, souvent en réaction aux crises et aux menaces, une architecture répressive et judiciaire de plus en plus structurée. Les réformes récentes, notamment la loi de 2025, marquent une étape décisive, mais la question de la coordination et de l’efficacité reste entière.
La réponse étatique repose sur une architecture dense et complexe : l’OFAST (créé en 2019, et héritier de l’OCRTIS, Office central pour la répression des trafics illicites de stupéfiants créé en 1953) pour le pilotage anti-stupéfiants, les Douanes (institution multiséculaire, réorganisée en direction générale en 1948) pour le ciblage, la Police et la Gendarmerie via les JIRS (2004, juridictions interrégionales spécialisées), les GIR (2002, groupements d’intervention régionaux) et services spécialisés, le SIRASCO (2010, Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée) pour le renseignement, Tracfin (1990, cellule anti-blanchiment) pour l’anti-blanchiment, auxquels s’ajoutent les parquets spécialisés (JIRS dès 2004 donc, et parquet antiterroriste en 2019) et le parquet national financier (2013). Si ce dispositif témoigne d’une mobilisation complète, la Cour des comptes en a toutefois souligné en 2023 les faiblesses de coordination et d’efficacité.
Validée par le Conseil constitutionnel, la loi de juin 2025 « Sortir la France du piège du narcotrafic » est à cet égard présentée comme un tournant. Elle institue le Parquet national anti-criminalité organisée (PNACO), désigne un service « chef de file » et renforce l’arsenal patrimonial (fermeture de « blanchisseuses », gels accélérés, confiscations). Elle interdit les « mixeurs » de crypto-actifs, accroît la responsabilité des plateformes, crée une incrimination d’appartenance à une organisation criminelle inspirée du modèle italien, élargit les techniques spéciales d’enquête et introduit un régime encadré de repentis. En parallèle du versant judiciaire, le ministère de l’Intérieur met en place un Etat-major de lutte contre la criminalité organisée (EMCO), rattaché à la Direction nationale de la police judiciaire et chargé de coordonner l’action des services de police, de gendarmerie, des douanes, de la fiscalité et des autres administrations concernées contre l’ensemble des formes de criminalité organisée, au-delà du seul narcotrafic.
Mais derrière l’ampleur des annonces, la mise en œuvre de ce dispositif qui dessine une architecture nouvelle de la lutte contre la criminalité organisée et instaure un double pilotage judiciaire avec le PNACO et policier-interministériel avec l’EMCO, révèle déjà des limites profondes, notables dans presque tous les domaines, qui déjà interrogent sa capacité à produire une véritable rupture.
La création d’un parquet supplémentaire a d’emblée alourdi la chaîne judiciaire sans combler le déficit chronique de moyens humains, en magistrats et en greffiers. L’incrimination « à l’italienne », introduite dans un droit français peu acculturé à la notion de criminalité organisée comme entité autonome, reste fragile et susceptible d’être neutralisée par une jurisprudence restrictive. Les nouveaux outils numériques (infiltration en ligne, activation à distance d’appareils) soulèvent des incertitudes juridiques et des inquiétudes sur la proportionnalité du contrôle, qui ont nourri de vifs débats à l’Assemblée nationale comme parmi les experts. Quant à l’arsenal patrimonial, il se heurte à la lenteur persistante des procédures et à l’ingéniosité croissante et pour ainsi dire quasi-imparable des circuits de blanchiment, qui exploitent la crypto-finance et les zones grises du commerce international. S’y ajoute enfin le risque d’une dispersion institutionnelle quand chaque instance, qu’il s’agisse du PNACO, de l’EMCO, du parquet national financier, et des mécanismes européens comme Eurojust et Europol, agissent avec des mandats partiellement chevauchant, ce qui fragilise la lisibilité et la cohérence d’ensemble.
La circulaire du 5 mars 2025 de la Direction des affaires criminelles et des grâces avait certes tenté de renforcer la coordination judiciaire et d’élargir la doctrine aux crimes financiers, mais elle demeurait avant tout un ajustement d’essence procédurale incapable de corriger, même très partiellement, ces failles structurelles. Les saisies record de cocaïne ou de MDMA, la multiplication des gels d’avoirs ou l’intensification des enquêtes transfrontières avec Europol et le MAOC-N (organe européen spécialisé dans la lutte contre le narcotrafic maritime transatlantique créé en 2007 et basé à Lisbonne) témoignent d’une activité opérationnelle soutenue, mais dont les résultats relèvent davantage d’une montée en puissance technique que d’une inflexion stratégique véritable. La réponse reste cumulative, réactive et fragmentée. La coexistence de plusieurs « chefs de file » entretient une logique de juxtaposition plutôt que de hiérarchie claire, qui laisse planer un doute sur la capacité du dispositif français et européen à imposer une vraie stratégie intégrée face à des criminels opérant sans frontières ni tuyaux d’orgue administratifs.
Car pendant ce temps, les fragilités fondamentales persistent : hubs portuaires largement perméables, justice saturée, blanchiment poly-canal passant aussi bien par l’immobilier que par les cryptoactifs ou le négoce international, contournements numériques difficilement traçables, criminalité organisée depuis les prisons et surtout vulnérabilité persistante de territoires entiers où s’installe une véritable dissidence criminelle.
Que faire ? Cinq ruptures stratégiques pour une action cohérente contre le crime organisé
La lutte contre les réseaux, qui ne manque pas d’outils, reste fragmentée et tardive. Malgré un arsenal juridique et policier fourni, l’économie criminelle est plus florissante que jamais. Seule une réorganisation profonde, de méthode et d’échelle, articulée autour de cinq ruptures structurantes, pourrait à ce stade permettre d’inverser la dynamique et faire franchir un cap décisif dans ce combat sans fin contre le crime organisé.
1 – Cibler l’ « économie cachée » des réseaux
L’approche patrimoniale, introduite par la loi Perben II (2004) puis renforcée en 2010 et 2016, reste trop tardivement mise en œuvre et de manière insuffisamment systématique. Une rupture consisterait à rendre la saisie automatique dès l’ouverture des procédures (gels flash, séquestres, confiscations, liquidation rapide), avec réaffectation directe des avoirs aux collectivités impactées.
La création de task-forces locales de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) dans les trente zones les plus exposées permettrait de dépasser la logique des GIR ou des pôles économiques et financiers actuels. Ces cellules intégreraient parquet, Tracfin, Douanes, fisc, URSSAF, notaires, banques, greffes et bailleurs, avec des indicateurs d’impact publiés (avoirs gelés, commerces fermés, délais de confiscation, réinvestissements licites).
Enfin en matière de crypto-actifs, au-delà de la transposition du règlement européen MiCA (2023) et l’interdiction de facto des « mixeurs » (2025), il conviendrait de créer une capacité nationale de gel algorithmique et de traçage, interfacée avec Tracfin, l’AMF (Autorité des marchés financiers) et l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), qui interviendrait en appui des parquets et des task-forces locales, dont une partie des avoirs saisis pourrait être réaffectée au financement de la technologie de traçage blockchain et à la formation des enquêteurs.
2 – Sécuriser les portes d’entrée et l’Atlantique
Le ciblage des conteneurs par intelligence artificielle (projet Ciblage 360) reste encore expérimental et non généralisé. La coopération franco-européenne (Europol, MAOC-N) est utile mais demeure sectorielle. Les opérations « coup de poing » sont par nature ponctuelles. Une vraie rupture serait donc d’institutionnaliser des actions multi-administrations cadencées sur les routes les plus « contaminées » (Antilles-métropole, golfe de Guinée-Atlantique), avec évaluation publique récurrente des saisies et des coûts logistiques imposés aux réseaux.
3 – Assécher les « biotopes » locaux
Les ZSP (2012, Zones de sécurité prioritaires) et QRR (2018, Quartiers de reconquête républicaine) n’ont pas permis une présence intégrée et durable de l’Etat dans les territoires. Les ZSP visaient une sécurisation par concentration d’efforts, mais sans cohérence durable, tandis que les QRR ont permis de renforcer la présence policière par des renforts visibles mais sans articulation forte avec la justice (parquets spécialisés ou moyens judiciaires dédiés), le social (emploi, éducation, prévention), et l’urbain (politique de la ville, bailleurs, acteurs locaux). Il s’agirait de créer de véritables avant-postes républicains durables et combatifs, des « zones d’autorité de l’Etat » réunissant police, justice, douanes, éducateurs et emploi, adossées à des contrats locaux de reconquête avec objectifs chiffrés et reddition publique régulière. Les commerces de façade liés à des flux suspects pourraient être fermés administrativement sur la base d’un référentiel national partagé avec les banques. Enfin, la lutte contre l’oligopole criminel exige de combiner saturation judiciaire sur les têtes de réseau et incitations fortes au repentir, renforcées par un vrai fonds dédié sécurisé par l’autorité judiciaire.
4 – Discipline numérique et plateformes
Le cadre actuel (loi Avia partiellement censurée, règlement européen DSA 2024) reste appliqué de façon limitée. Une stratégie de rupture supposerait d’abord une responsabilisation effective des plateformes, contraintes d’empêcher la diffusion de contenus liés aux trafics (astreintes financières progressives, déréférencement, retrait sous délai strict). Dans un premier temps, l’action de l’Etat se concentrerait sur le contrôle du respect de ces obligations, sans accès généralisé aux données privées ni surveillance intrusive des communications personnelles. Les moyens techniques devrait uniquement viser les réseaux criminels identifiés, sous contrôle judiciaire renforcé, avec une doctrine claire de transparence et de proportionnalité.
5 – Gouvernance et mesure
Le PNACO créé en 2025 doit devenir un véritable chef d’orchestre inter-parquets, avec une doctrine unifiée et une part patrimoniale minimale exigée pour chaque dossier. Des contrats d’objectifs inter-services (OFAST, Douanes, Tracfin) devraient fixer des indicateurs trimestriels (avoirs saisis, délais de confiscation, fermetures de commerces, flux crypto neutralisés, démantèlements pérennes, baisse des homicides, etc.). Le ministère de l’Intérieur devrait assumer clairement un rôle de chef de file interministériel et se doter d’une véritable direction générale de la lutte contre la criminalité organisée, à l’image du rôle exercé par la DGSI dans la lutte antiterroriste, afin de garantir l’unité de commandement et la coordination des administrations concernées. Cette structure, issue ou non de l’actuelle EMCO, garantirait la cohérence stratégique, la centralisation du renseignement opérationnel et la conduite intégrée des politiques publiques dans ce domaine. Enfin, la publication annuelle d’un vrai « compte de résultat » du narcotrafic (recettes estimées, coûts imposés par l’action publique, ventilation par territoire) permettrait de calibrer les efforts et de mesurer les résultats de manière transparente.
En guise de conclusion ? Tout cela n’est qu’un début…
La criminalité organisée et le narcotrafic irriguent aujourd’hui l’ensemble du territoire de notre pays, sans « zone blanche », et façonnent une contre-société où violence, blanchiment et corruption rampante se conjuguent. Les flux financiers atteignent des milliards, les réseaux structurés en pyramide tiennent des pans entiers de nos villes, et l’Etat voit son autorité contestée jusque dans les services publics. Pourtant, malgré un arsenal juridique et policier toujours plus fourni, les résultats demeurent fragmentés et insuffisants.
En définitive, la France ne manque pas de textes, de services ni d’outils. Ce qui fait défaut, c’est la volonté, et avec elle une stratégie d’ensemble, encore très embryonnaire, capable d’ordonner les moyens dispersés et de mesurer leurs résultats. Le défi n’est pas d’empiler des lois, mais de bâtir un pilotage unifié, transparent et évalué, qui transforme la lutte contre le crime organisé en véritable politique publique nationale. Tant que les dispositifs resteront éparpillés et les responsabilités diluées, l’économie criminelle prospérera.
La question est donc bien politique : voulons-nous enfin reprendre le contrôle de tous nos territoires et rétablir l’autorité républicaine là où, dans l’ombre, les barons du crime tentent de substituer la leur ?