
Les Terres Australes et Antarctiques françaises : les îles Eparses, “des confettis dans l’Océan Indien”
Le 4 mai dernier, Andry Rajoelina, président malgache, annonçait qu’il comptait « trouver le moyen de se rendre » sur les îles Eparses « en tant que président de la République de Madagascar ». Contestant l’autorité française sur ces territoires depuis 1973, Tananarive fait monter la tension ces dernières années autour de ces îlots de l’Océan Indien.
Quels enjeux portent donc ces îles si convoitées ?
Par Pierre Erceau
Enjeux pour la France et compétitions entre puissances
Ilots coralliens dispersés autour de Madagascar, originellement rattachées à l’ancienne colonie, les îles « éparses » se répartissent entre le canal du Mozambique (Archipel des Glorieuses, Juan de Nova, Bassas de India, Europa) et le nord de la Réunion (Tromelin).
Bien petites par leur tailles – leur surface terrestre cumulée représente 43km² – elles permettent à la France de contrôler au total 640 400 km² de zones économiques exclusives (6% du territoire maritime français) riches en ressources halieutiques, en richesses énergétiques et en nodules polymétalliques potentiellement exploitables un jour. Leur biodiversité exceptionnelle fait aujourd’hui l’objet d’un programme de protection par la France (Plan Action Biodiversité).
L’essentiel de ce domaine maritime occupe la moitié de la surface maritime du canal du Mozambique, un espace de transit majeur (30% du trafic pétrolier mondial) mais également un nouvel espace d’exploitation d’hydrocarbures, certains parlant même de “nouvelle mer du Nord”. Ces enjeux placent donc la France au cœur d’une compétition renouvelée entre grandes puissances qui prennent appui sur les revendications des nations voisines pour faire avancer leurs intérêts.
En effet, Madagascar, Maurice ou encore les Comores souhaitent récupérer ces territoires qu’ils considèrent comme leurs. Les revendications datent des années 70 et 80 pour la plupart mais ont connu un retour en intensité notamment de la part du nouveau pouvoir malgache qui en a fait une priorité nationale.
Derrière ces revendications malgaches, l’ombre d’autres puissances se profile : la Chine tout d’abord, qui investit à Madagascar dans le domaine agricole, cherche de nouvelles perspectives au niveau minier tout en lorgnant sur les zones de pêche également. Une importante communauté chinoise (100 000 personnes) y est implantée. Devenue premier partenaire commercial et deuxième créancier bilatéral de “l’île Rouge”, elle pourrait appuyer des manœuvres plus agressives visant à récupérer les îles Eparses par la force ou à contester la souveraineté française selon des procédés comme ceux déjà observés sur d’autres pays en mer de Chine méridionale.
La Russie s’est également positionnée en faveur des revendications malgaches et s’est dit prête « à contribuer par tous les moyens possibles à un règlement politique de ce différend ». Elle semble donc vouloir s’implanter aux côtés du nouveau pouvoir comme un soutien politique et militaire.
Face à ces menaces, la France réaffirme la souveraineté française sur ces îles tout en laissant ouverte l’idée d’une possible “co-gestion”, refusée par Madagascar.
Le point sur les revendications
Maurice revendique Tromelin depuis 1976 (au titre d’un traité datant de 1814 dont l’interprétation est toujours controversée). L’île a récupéré un autre archipel, les Chagos, rétrocédé par le Royaume Uni en octobre 2024. Ce dernier garde la propriété de Diego Garcia afin de louer l’île aux USA pour leur base militaire. Cette rétrocession pourrait être un argument pour Maurice qui a bénéficié de l’appui de la Cour internationale de justice et de l’ONU.
Une différence majeure subsiste : les îles Eparses n’ont jamais fait l’objet de transfert de population forcée car elles n’ont jamais été occupées de manière durable par des populations civiles. C’était le cas des Chagos qui ont subi des expulsions par le pouvoir britannique.
Les Comores revendiquent les Glorieuses depuis 1980, leur priorité étant de récupérer d’abord Mayotte : « les îles Glorieuses appartiennent aux Comores en raison de leur proximité avec le banc du Geyser. Dès que nous aurons récupéré Mayotte, nous revendiquerons officiellement les Glorieuses » ( Ahmed Abdallah, président de la République fédérale islamique des Comores, 1980).
Madagascar revendique les îles Eparses (excepté Tromelin, à la suite d’un accord avec Maurice) depuis 1973. Ils invoquent que ces îles seraient des dépendances naturelles et s’appuient sur des résolutions de l’ONU de 1979 puis 1980, qui enjoignent la France à restituer les îles Éparses à Madagascar ou, au minimum, à entamer des négociations en vue d’une restitution. Dès les premières résolutions onusiennes, la France a riposté en précisant que “Ces îles étaient désertes quand la France s’y est implantée et n’ont jamais appartenu à la République malgache.” (Philippe Husson, représentant de la France à l’ONU, 1980).
Quelle légitimité pour la France ?
En ce qui concerne sa souveraineté, la France défend sa “souveraineté originaire”. En l’occurrence, ces îles n’ont jamais été administrées par Madagascar ou une autre puissance et sont des territoires qui n’ont pas vu d’occupation effective avant l’arrivée de la France. Elles étaient donc des “terra nullius” que la France a été première à occuper puis administrer ce qui rend la souveraineté française légitime.
Bases juridiques :
- “Souveraineté originaire” : Coutume codifiée par l’Acte général de la conférence de Berlin du 26 février 1885 puis reprise par la Conférence de Saint-Germain et la sentence arbitrale du 4 avril 1928 dans l’affaire de l’île Palmas. Elle stipule que c’est l’occupation effective d’un territoire qui justifie la souveraineté. Ainsi un territoire ne peut être revendiqué au motif de la seule découverte. Il faut une prise de possession et l’exercice d’une souveraineté réelle sur un territoire pour s’en revendiquer le détenteur.
- Jurisprudences de la presqu’île de Bakassi (Cameroun contre Nigeria) et de l’île de Clipperton, cette dernière rappelant notamment le principe de prise de possession matérielle et non-fictive.
Les Eparses en bref :
I) L’archipel des Glorieuses :
Composition : Deux îles principales, Grande Glorieuse et l’île du Lys ainsi que l’îles aux Crabes.
Topographie : îles planes, altitude maximale de 12m.
Superficie : 7km²
ZEE : 43 762 km²
Climat : tropical
Faune : Sternes fuligineuses, tortues vertes.
Base permanente : Oui, présence d’1 gendarme et de 14 militaires du détachement de la Légion étrangère de Mayotte (DLEM)
Revendiqué par : Les Comores
II) Île Juan de Nova :
Topographie : collines rocheuses et dunes de sable, hauteur maximale de 12m.
Superficie : 5km²
ZEE : 61 050 km²
Climat : Chaud et sec
Faune : sternes fuligineuses et la sternes huppées, tortues vertes et tortues imbriquées (en voie d’extinction)
Base permanente : Oui, 1 gendarme et 14 militaires du 2e Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine de La Réunion (2e RPIMa)
Histoire : Île la plus marquée par une occupation humaine, elle a été un lieu d’exploitation intense du guano, de phosphates et de coprah de 1900 à 1968.
Revendiqué par : Madagascar
III) Bassas de India :
Topographie : récif corallien non toujours en formation – émergent à marée basse seulement.
Superficie : 1km² de récif circulaire – 86km² en incluant le lagon
ZEE : 123 700 km²
Climat : tropical
Faune : non répertorié
Base permanente : aucune
IV) Europa :
Topographie : atoll d’origine volcanique, bas et sablonneux, hauteur maximale de 7m
Superficie : 30 km²
ZEE : 127 300km²
Climat : subaride
Faune : Avifaune très diverse (paille-en-queue à brins rouges, paille-en-queue à brins blancs d’Europa, fou à pieds rouges, frégate ariel, frégate du Pacifique, puffin tropical, sterne fuligineuse, sterne caspienne), principal site de ponte dans l’Océan Indien pour les tortues vertes.
Base permanente : Oui, 14 hommes du 2e RPIMa et un gendarme.
Revendiqué par : Madagascar
V) Tromelin :
Topographie : île plane, altitude maximale de 7m
Superficie : 1km²
ZEE : 285 000 km²
Climat : tropical maritime
Faune : Fous masqués, Fous à pieds rouges et Sternes blanches, tortues vertes
Base permanente : Oui, présence de 3 personnels scientifiques
Revendiqué par : Maurice
Sources
https://taaf.fr/collectivites/presentation-des-territoires/les-iles-eparses/
https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/cesm/BM-246_Le-canal-du-Mozambique-1.pdf
https://newsmada.com/2025/05/08/iles-eparses-la-russie-soutient-la-revendication-de-madagascar/
https://www.ege.fr/infoguerre/2020/02/enjeux-petroliers-autour-iles-eparses