Résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale

Résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale
1 août 2025 Olivier Debeney

Résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale

Par Stéphane Linou et Françoise Laborde

Stéphane Linou est auditeur IHEDN, ancien Conseiller Général, Pionnier du mouvement locavore en France, Formateur en “Résilience alimentaire du territoire et sécurité civile”

Françoise Laborde est ancienne sénatrice de la Haute-Garonne et Adjointe au maire à la culture de Blagnac, toujours active sur le sujet de la culture du risque


21/09/2001: l’explosion de l’usine de fabrication d’engrais azotés d’AZF à Toulouse mit en lumière le manque de préparation et d’information des collectivités et des populations face aux risques majeurs, qui motivera la Loi du 13 août 2004 de Modernisation de la Sécurité Civile qui formalisa les Plans Communaux de Sauvegarde.

Tous les deux sur Toulouse, le futur expert associé du Laboratoire Sécurité Défense du CNAM Stéphane LINOU (alors sapeur-pompier volontaire et conseiller en installation agricole) et la future sénatrice Françoise LABORDE (alors adjointe au maire de Blagnac, chargée de la culture) ne peuvent pas encore savoir qu’ils conjugueront plus tard leurs efforts et travaux pour relier sécurité / résilience alimentaire, sécurité civile, intérieure et nationale: ils poseront les premiers jalons de “la culture du risque de rupture d’approvisionnement alimentaire”. En effet, 18 ans plus tard en ce 12 décembre 2019, quand le premier recevait le matin le Prix national “Information Préventive et Résilience des territoires” au Forum d’Information sur les Risques Majeurs pour ses “travaux sur la résilience alimentaire des territoires donnant une perspective nouvelles aux risques “socio-économiques émergents”,  la seconde défendait  l’après-midi, au Sénat, son projet de résolution “Résilience alimentaire des territoires et Sécurité nationale”.

Mais pourquoi devoir passer par des travaux de recherche et des interpellations de ministres pour évoquer le plus vieux sujet du monde, en l’occurrence le lien entre alimentation et sécurité individuelle et collective ? C’est hélas tout simplement parce qu’ils en sont arrivés à l’incroyable constat que ce sujet crucial n’était plus pensé: ni par les individus, ni par leurs représentants…

Rappels du bon sens

«Courir» après la nourriture (chasse et cueillette), sécuriser sa production (invention de l’agriculture au Néolithique), sécuriser collectivement les stocks (création des villages), était vital. Aujourd’hui, c’est la nourriture qui «vient» à nous, sans que l’on s’inquiète du «comment ?» et du «jusqu’à quand ?». Sachant que avons mutualisé la satisfaction des besoins individuels de la pyramide de Maslow avec des infrastructures (énergétiques, sanitaires, sociales, sécuritaires, de secours, juridiques, de sécurité, etc.), n’est-il pas inquiétant que l’on ne parle jamais «d’infrastructures nourricières» ?

Un aveuglement

Il semble que nous ayons à faire à un aveuglement… C’est d’autant plus curieux que garantir les conditions d’un minimum de sécurité alimentaire était un pilier de la légitimité des «ancêtres» des maires, les consuls au Moyen Âge. Il faudrait s’interroger sur cet élémentaire «talon d’Achille alimentaire» où même les campagnes sont actuellement incapables de subvenir à l’alimentation des ruraux (98 % de ce qui remplit nos assiettes arrive par les camions venant d’autres régions et d’autres nations). En effet, contrairement à 1940, l’époque où les fermes étaient encore nombreuses, autonomes et diversifiées, est révolue et fait désormais partie de l’album rassemblant les images d’Épinal. Un premier réflexe pourrait nous faire dire que les «autorités», dont “Papa Etat” à travers l’Armée, ont des stocks pour la population: c’est faux. Un autre serait que les associations, incluses dans les plans communaux de sauvegarde (PCS), en ont; eh bien, pas vraiment car elles se fournissent dans… les grandes surfaces. À l’heure du tout–connecté et des cyberattaques, où le lien social se délite et qu’une infime partie de la population produit sa nourriture, que se passerait-il si la chaîne d’approvisionnement connaissait une sérieuse avarie (pandémie, blocages, malveillance etc.) ? Une «pathologie territoriale» se déclarerait sous la forme de troubles à l’ordre public. Cette question est-elle posée, mal posée, «inappropriée», intéresse-t-elle ?

Un angle mort

Le risque alimentaire est perçu sous l’angle normatif et sous l’angle de ses excès, jamais sous l’angle d’un éventuel non accès. Une des grandes limites du «pétro aménagement du territoire» et des politiques de gestion des risques est que l’alimentation des territoires est un angle mort. En effet, il existe une impensable et dangereuse impasse sur le sujet: la vulnérabilité alimentaire territorialisée est absente des politiques publiques…

Dans “Résilience alimentaire et sécurité nationale” paru en 2019, il apparaît clairement une saturation des maillons constituant le continuum sécurité–défense et l’affaiblissement de notre Défense Nationale suite aux effets d’une rupture d’alimentation pour des populations, non préparées et intolérantes à la frustration et l’absence de “mode dégradé alimentaire territorialisé” où, comme l’a relaté le Figaro en 2021, il s’en est fallu de peu pendant le COVID que l’on transforme nos militaires en caissières: “L’armée française réquisitionnée pour continuer à faire tourner les grandes surfaces alimentaires déstabilisées par une explosion de l’absentéisme; les forces de l’ordre mobilisées pour canaliser les files d’attente géantes devant les magasins”.

Pourtant…l’Histoire nous montre qu’il a toujours existé un lien étroit entre l’alimentation et l’ordre public et, comme le rappelait Churchill, “Entre la civilisation et la barbarie, il n’y a que 5 repas”.

“Résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale”: un projet de résolution au Sénat en 2019:  ce fût…“Non”

Par le vote d’une résolution, il s’agissait de faire prendre au Sénat une position sur ce sujet spécifique et donner au vote un caractère opposable au Gouvernement et ce fut la première fois que ce thème fut abordé au Parlement. Plusieurs préconisations comme la rénovation de la Loi de Modernisation de la Sécurité civile pour y intégrer la résilience alimentaire des territoires et la préparation des populations; la révision de la loi de programmation militaire pour y intégrer la production durable et le foncier agricoles comme secteur d’activité d’importance vitale; le rappel de l’importance du soutien au développement de l’agroécologie en tant que pratique agricole, limitant le recours aux intrants de synthèse (dont russes) et se basant sur le fonctionnement des écosystèmes qui est le plus à même de garantir la résilience alimentaire, l’importance d’une stratégie de reterritorialisation des productions alimentaires; la promotion du lien entre résilience alimentaire et sécurité nationale, à travers le continuum sécurité-défense.

Par la voix de son ministre de l’agriculture Didier Guillaume, le Gouvernement fut “globalement d’accord avec l’esprit et les orientations de cette proposition de résolution: la réduction des surfaces agricoles, l’artificialisation des terres, la raréfaction des ressources hydriques, l’hyper-sophistication des chaînes d’approvisionnement et la dépendance extrême aux énergies fossiles, sont autant de facteurs qui rendent notre système alimentaire particulièrement vulnérable face aux menaces systémiques. La question du lien entre résilience alimentaire des territoires et sécurité nationale mérite d’être pleinement prise en compte, eu égard à l’actualité.”

Hélas, il ne manqua que 16 voix pour son adoption et il fut regrettable que l’argument évident de sécurité nationale n’aie pas intéressé ses opposants, Messieurs DUPLOMB et MENONVILLE, qui ont d’ailleurs tout récemment porté une loi en contradiction avec ce sujet de sécurité et de revenu, qui ne sort nullement notre pays de nos dépendances, ne protège pas nos ressources et notre biodiversité qui sont pourtant auxiliaires de sécurité, qui ne renforce pas la commande publique sécurisante, n’aborde nullement les stocks alimentaires pourtant gages de prudence élémentaire, ne fait aucun rapprochement avec l’indispensable fléchage de la consommation territorialisée, ne rappelle en rien que réapprendre à cuisiner les produits de nos agriculteurs est la meilleure façon de leur garantir un revenu (et protéger leur santé des conséquences des pesticides que certains utilisent) et financer l’indispensable transition agro écologique et son accompagnement, alors qu’ils exploitent ou utilisent des installations indispensables à la vie de la Nation et qu’ils pourraient être considérés comme “opérateurs d’importance vitale”.

S’inspirer du modèle de la BITD à lier au “Terroir-caisse”

Il n’y a pas de sécurité sans nourriture, de nourriture et d’agriculture sans nature, et d’agriculteurs sans prix rémunérateurs et sans visibilité !

Ils suggèrent, après avoir fortement contribué à l’intégration de la résilience alimentaire dans le Guide National des Plans Communaux et inter-Communaux de Sauvegarde et la formation pour élus sur le sujet et l’implication concrète des populations, la création d’une BITD (Base Industrielle et Technologique de Défense) alimentaire, donnant de la visibilité à nos agriculteurs car nous avons besoin d’une “ardente planification alimentaire”, planification version Général de Gaulle, durable (la caisse enregistreuse régénérant le terroir) et résiliente, inscrite dans une économie AVEC marché où (car c’est un sujet stratégique) on reprend la main sur « la main invisible du marché » quand le marché ne peut ou ne veut pas voir.

Pour rappel, la BITD est notre écosystème d’entreprises de la défense qui fonctionne pour une bonne partie à travers la commande publique. Pourquoi ne ferait-on pas de même avec l’alimentation (une “BITD alimentaire” qui fonctionnerait en partie à travers la commande publique: d’État, des collectivités territoriales avec les cantines, les EHPAD, la restauration collective et pourquoi pas liée à la sécurité sociale de l’alimentation, et le reste serait pour l’exportation) ? Cela permettrait de reconstruire et de maintenir des infrastructures nourricières, comme la BITD maintient notre infrastructure de défense.

Muscler “l’arrière” pour libérer “l’avant”

Cela fait écho à la Revue Nationale Stratégique 2025 qui, sans développer un chapitre spécifique sur la sécurité alimentaire, en reconnaît l’importance transversale dans les stratégies de résilience, de souveraineté et de lutte contre les ingérences hybrides. Ces propositions constituent un levier d’argumentation fort pour renforcer les politiques publiques de relocalisation alimentaire, d’agriculture durable et de préparation aux crises. Pour cela, des outils comme les Projets Alimentaires Territoriaux doivent être consolidés.

Le contexte géopolitique fait dire au Chef de l’Etat qu’il va falloir que chacun soit à son poste et mette la main à la poche et à la poêle. Mais, comme se nourrir est aussi important que se défendre, il va falloir que chacun soit à son poste pour cuisiner des produits bruts, sains, locaux ayant PROTÉGÉ nos ressources naturelles car sans elles, point de sécurité et de santé: ainsi, les euros s’infiltrent (et ne ruissellent donc plus !) trois fois (économie de la ferme, économie des territoires et économies dans les foyers). Cela tombe bien puisque le temps est aux économies…

Pour conclure et résumer de façon légère mais sérieuse ce sujet pouvant réconcilier écologie, économie(s) et sécurités (civile, intérieure et nationale): le ver de terre est le meilleur allié du militaire, car il soulage ses arrières…