
L’analyse de Marie-Hélène Thoroval sur les résultats du sondage “les maires et l’insécurité”
Maire de Romans-sur-Isère et membre du comité stratégique du CRSI
La sécurité est une préoccupation importante, sinon centrale, pour la très grande majorité des villes de plus de 10.000 habitants. Une préoccupation portée par les maires et leurs équipes, premiers maillons de la chaîne de sécurité publique.
Ces derniers ont d’ailleurs développé considérablement le recours à la police municipale, dont les effectifs ont bondi de 68% en 20 ans, avec aujourd’hui 28.000 agents sur le terrain, et une montée en compétence réelle au fil des années.
Ce sondage nous fournit plusieurs éléments intéressants sur le sentiment qui prédomine chez les maires et les élus chargés de la sécurité.
Il marque tout d’abord une vraie rupture de considération entre élus ruraux et urbains, avec une priorité donnée à la sécurité par seulement 45% des élus de communes de moins de 2.000 habitants contre 82% pour élus de villes de plus de 10.000 habitants. Une autre manière de montrer une France à deux visages face à l’insécurité.
Les élus se retrouvent cependant sur le souhait de la simplification administrative des procédures d’installation, notamment en matière de vidéoprotection, que 70% des élus plébiscitent.
Ce chiffre dit à mon sens deux choses :
- D’abord, que la vidéoprotection est aujourd’hui un outil indispensable de lutte contre la délinquance, car il offre un support important à la police nationale dans la résolution des enquêtes. C’est un système efficace.
- Ensuite, que les élus sont en demande de ce fameux choc de simplification évoqué par le Premier Ministre, et tout particulièrement sur le volet sécuritaire.
Développer les prérogatives des polices municipales
La montée en puissance des polices municipales, en termes d’effectifs comme de compétences, doit s’accompagner d’évolutions législatives leur permettant d’exercer plus efficacement leurs missions de sécurité du quotidien, sans pour autant entrer dans une concurrence illusoire avec les forces étatiques.
Je pense notamment à l’accès aux fichiers nationaux des personnes recherchées, des véhicules volés, des assurances, des soldes de points auxquels ils n’ont pas accès. Un délinquant recherché au volant d’un véhicule volé peut faire l’objet d’un contrôle de police municipale et reprendre la route. Sur le terrain, un agent de police municipale doit contacter l’officier de police judiciaire pour faire vérifier ces informations, ce qui peut prendre plusieurs minutes. Il doit même lui demander son autorisation avant de procéder à un contrôle d’alcoolémie ou de stupéfiants.
Plus globalement, l’Etat doit déverrouiller l’accès à l’information, et c’est d’ailleurs le sens des réponses des maires concernant l’information sur la présence de fichés S sur le territoire (93%) de leur commune, ou la volonté d’être associés au processus décisionnel relatif à l’installation de réfugiés (89%).
Reconquérir l’espace public
Le sentiment d’abandon de l’Etat exprimé par plus des deux tiers des élus issus de communes de plus de 2.000 habitants traduit également une nécessité absolue, celle de reconquérir l’espace public. Tentaculaire, le narcotrafic touche aujourd’hui l’ensemble du territoire, et non plus seulement les zones urbaines. L’émergence de commerces de blanchiment d’argent, la multiplication des points de deals et la généralisation de la violence donne aujourd’hui le sentiment de villes abandonnées par la puissance publique, ou en tous cas submergées par la délinquance.
Dans ce contexte, il devient urgent de faire appel et de s’appuyer sur l’expertise de terrain des maires, qui restent à la fois l’échelon de confiance des citoyens, et ceux qui connaissent le mieux le terrain. Dans son rapport sur le narcotrafic, le sénateur Etienne Blanc évoque justement cette expertise, sur laquelle les forces de police doivent s’appuyer davantage dans la lutte contre les réseaux criminels.
Les villes ont vu se développer depuis vingt ans de véritables ZAD, des zones d’un autre droit. De nombreux quartiers ont érigé leurs propres règles, prennent en otage une partie de la population et lancent des guerres de territoire, en lien avec le narcotrafic. De son côté, l’Etat et la justice font régner la culture de l’excuse, qui fait régner auprès d’élus trop souvent démunis un sentiment d’abandon et de résignation.
Renouer avec le sentiment d’ordre et de sécurité
« Sans un sentiment d’ordre dans la cité, il y a un sentiment d’insécurité. » Ces mots sont ceux de Jessica Tisch, commissaire de police de New-York. Et ils traduisent le sens de son action depuis son entrée en fonction, avec la volonté contre les comportements nuisibles à la qualité de vie.
Ce sentiment d’ordre est précisément ce qui nous fait défaut aujourd’hui, et sur lequel l’Etat peut pourtant agir concrètement :
Sur le volet judiciaire :
- En adaptant la réponse pénale et en se dotant des moyens pour exécuter les courtes peines de prison, trop souvent aménagées. Selon la magistrate Béatrice Brugère, 41% des condamnés à la prison ferme n’y vont jamais, et un condamné n’effectue en moyenne que 62% de sa peine.
- En accélérant la réponse pénale : En raison de l’engorgement des tribunaux, la réponse pénale est parfois trop tardive et la condamnation perd son sens.
Sur le volet sécuritaire :
- En donnant les moyens humains et le cadre légal à la police nationale pour agir plus efficacement sur l’ensemble du territoire, et en faisant évoluer les prérogatives de polices municipales sur lesquelles elle s’appuie largement en milieu urbain.
- En démantelant ces ZAD, zones d’un autre droit qui favorisent l’idée d’une faiblesse de l’Etat, et deviennent de véritables quartiers communautaires opposés aux principes fondamentaux de la République.
Sur le volet politique :
- En tendant vers une classe politique exemplaire. La multiplication des scandales décrédibilise l’action publique.
- Réaffirmer l’autorité de l’Etat, sur le territoire national et à l’étranger, face aux menaces intérieures (les émeutes de 2023 ont montré la faillite totale de notre stratégie de sécurité publique) mais aussi à l’international, notamment avec l’exemple de la crise diplomatique algérienne.
Dans le fond, les maires sont les soldats de première ligne face à l’insécurité, et ce sondage révèle plusieurs éléments fondamentaux. D’abord, ils sont pleinement conscients de l’enjeu que représente la sécurité dans notre pays en général, et dans leur ville en particulier. Ils sont aussi volontaires pour agir, comme en témoigne le développement phénoménal des polices municipales. Mais tendent à perdre confiance en un Etat qui les délaisse, et refuse de leur donner les moyens d’agir efficacement sur cette mission essentielle et pourtant, en théorie, 100% régalienne.