Ce pourrait être le titre d’un film d’Henri Verneuil ou Jacques Deray. Mais ce n’est malheureusement pas du cinéma…
Lors de son audition par la commission d’enquête sur le trafic de drogue, en 2024, le procureur de la République de Marseille, M. Bessone, avait clairement alerté sur la progression de la corruption :
« Il faut être clair, sur la corruption de basse intensité, la bataille est perdue avec l’administration pénitentiaire, sans stigmatiser toute une profession. On sait que drogue, téléphone mobile, rentrent facilement. On commence à avoir de plus en plus de problématique de corruption de fonctionnaires de police et nous entamons une réflexion avec le procureur général sur des cabinets qui seraient sujets à beaucoup d’annulation de procédures »
Ces mots aussi lucides que réalistes avaint choqué le garde des Sceaux de l’époque, E. Dupont-Moretti qui, toutes affaires cessantes, était venu tancer le magistrat. D’autant que le constat fut partagé par trois autres magistrats marseillais entendus eux aussi par la commission d’enquête. Au passage l’indépendance de l’autorité judiciaire (art. 64 C) était le cadet des soucis de l’ancien ténor du barreau…
Ce constat semble plus que jamais d’actualité après la mise en examen d’un agent du greffe du tribunal de Marseille. A l’origine ce sont deux agentes vacataires du tribunal judiciaire de Marseille qui sont mises en examen pour consultation illégale d’informations sensibles relatives aux affaires de narcotrafic. L’une d’elles les aurait même monnayées auprès d’un proche de la DZ Mafia. C’est cette dernière, âgée d’une trentaine d’années, qui est soupçonnée d’avoir donné des informations confidentielles sur une enquête en cours, à un caïd marseillais avec lequel elle entretient une relation. Interrogé par “Ici Provence”, Eddy Sid, porte-parole du syndicat Unité Police, estime qu’une étape vient d’être franchie :
« C’est une première aujourd’hui en France et en l’occurrence au tribunal de Marseille où on a un individu qui dépend directement du tribunal de Marseille qui est incriminé pour des faits qui sont graves. Ça montre à quel point l’entrisme des narcotrafiquants peut-être important avec certains fonctionnaires ». Selon ce média plusieurs autres enquêtes sont ouvertes pour des soupçons de corruption de fonctionnaires… (https://www.francebleu.fr).
Selon Le Robert, une ancienne définition du mot corruption énonce qu’il s’agit d’une altération (de la substance) par décomposition. Une approche littéraire signifie altération (du jugement, du goût, du langage…). Un troisième sens prévoit le fait de corrompre moralement ; état de ce qui est corrompu. Ex : la corruption des mœurs. C’est la quatrième définition qui compte ici : Moyens que l’on emploie pour faire agir qqn contre son devoir, sa conscience ; fait de se laisser corrompre. Ex : corruption de fonctionnaire.
Il n’existe pas de définition légale de l’agent vacataire. C’est la jurisprudence administrative qui a précisé cette notion. Ainsi, le vacataire est un agent recruté pour accomplir une tâche précise, ponctuelle et limitée à l’exécution d’actes déterminés et rémunéré à la vacation, c’est-à-dire à l’acte (à la tâche). À la différence de l’agent contractuel, le vacataire n’est pas recruté pour assurer un besoin permanent de l’administration. Le vacataire n’est pas recruté sur un emploi. Il est recruté pour accomplir une tâche précise et ponctuelle.
Le vacataire ne bénéficie en conséquence pas des dispositions applicables aux agents contractuels de la fonction publique (congés payés, formation, indemnité de fin de contrat, etc.). Le vacataire n’est régi par aucun texte spécial : il n’est pas fonctionnaire car il n’est pas titulaire d’un grade. Selon le CE le vacataire est un agent public assimilé. Le professeur de Laubadère parlait d’un « fonctionnaire d’une catégorie particulière » (on disait aussi auxiliaire par le passé).
Le vacataire ne perçoit pas de traitement indiciaire (ni d’indemnité de résidence, ni de supplément familial de traitement – SFT). Il a toutefois droit au remboursement partiel de ses frais de transport entre son domicile et son lieu de travail. C’est la durée d’emploi et la nature des fonctions qui déterminent si un agent est vacataire ou contractuel.
En sa qualité d’assimilé fonctionnaire, l’agent est soumis aux obligations statutaires (obéissance hiérarchique, obligation de servir, de discrétion et de secret professionnel) dont, évidemment, l’obligation de réserve, alors même que l’absence de statut tend plus à le considérer comme un prestataire de service que comme un agent soumis à des obligations statutaires.
Il se trouve qu’un vacataire de la fonction publique est, on l’a dit, assimilé à un fonctionnaire même temporairement. Or il se trouve que, comme un fonctionnaire, il est encore plus fautif qu’un salarié privé lorsqu’il se laisse corrompre.
D’abord parce qu’un fonctionnaire a d’abord des devoirs. Ils sont au nombre de huit énumérés par le Code Général de la Fonction Publique (CGFP). Un premier groupe que l’on appellera des devoirs moraux : dignité, impartialité, intégrité et probité. Puis un devoir professionnel essentiel : obligation de discrétion professionnelle. On parle aussi d’obligation de réserve, alors même que l’absence de statut du vacataire tend plus à le considérer comme un prestataire de service que comme un agent soumis à des obligations statutaires.
Une vacataire du greffe d’un tribunal qui fournit des renseignements sensibles à son conjoint membre de la DZ mafia, commet une faute grave. A la différence d’une salariée du privé, elle s’expose à des sanctions administratives et même à des sanctions pénales. La faute donnant lieu à sanction consiste en un manquement aux obligations posées par la loi ou la jurisprudence administrative ou encore en un agissement constituant en même temps une faute pénale.
D’une manière générale, il y a faute disciplinaire chaque fois que le comportement d’un agent entrave le bon fonctionnement du service ou porte atteinte à la considération du service dans le public. En l’espèce l’agente, au-delà de sa propre turpitude, éclabousse toute l’institution judiciaire dans laquelle elle évolue. Et elle sème aussi le doute sur le comportement éventuel d’autres agents.
Il peut s’agir d’une faute purement professionnelle, mais également d’une faute commise en dehors de l’activité professionnelle (comportement incompatible avec l’exercice des fonctions ou comportement portant atteinte à la dignité de la fonction). Ce qu’a commis cette vacataire relève d’une gravité certaine donc elle a déjà subi une suspension pour faute grave. Par la suite selon la procédure disciplinaire fixée par le CGFP, elle sera sanctionnée administrativement. L’échelle des sanctions va de de l’avertissement au licenciement voire à la révocation. En ce qui concerne cette vacataire, le licenciement peut être envisagé. A ce propos le CE a précisé que :
« Considérant qu’en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre » (CE, ENSTIMA, 10 octobre 2018, n°393132). Or il se trouve quand même que, eu égard à la gravité des faits, le licenciement ne posera aucun problème.
Nonobstant l’aspect administrtaif, il y a aussi l’aspect pénal. L’article 433-1 est on ne peut plus clair :
Est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait, par quiconque, de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public, pour elle-même ou pour autrui :
1° Soit pour qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir, ou parce qu’elle a accompli ou s’est abstenue d’accomplir, un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat ;
2° Soit pour qu’elle abuse, ou parce qu’elle a abusé, de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable.
Est puni des mêmes peines le fait de céder à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public qui sollicite sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour accomplir ou avoir accompli, pour s’abstenir ou s’être abstenue d’accomplir un acte mentionné au 1° ou pour abuser ou avoir abusé de son influence dans les conditions mentionnées au 2°.
La peine d’amende est portée à 2 000 000 € ou, s’il excède ce montant, au double du produit de l’infraction, lorsque les infractions prévues au présent article sont commises en bande organisée.
C’est bien évidemment l’avant- dernier paragraphe qui vise la vacataire marseillaise. Etant donné que la phase administrative qui sanctionnera celle-ci sera plus rapide (d’autant plus pour une vacataire), le juge pénal s’inspirera très certainement aussi de la sanction administrative pour condamner.
Face à cela, ce n’est pas un hasard si le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, toujours lui, a annoncé le 14 octobre dernier la création d’une cellule spécialement chargée de lutter contre la corruption reliée au parquet de la cité phocéenne. Une première en France, dans un contexte de hausse d’atteintes à la probité. Il faut souhaiter que chaque parquet s’inspire de cet excellent exemple. Au moins dans la trentaine de villes françaises que l’on sait gangrénées par le narcotrafic. Mais pas que. Ainsi en 2024 l’IGPN a observé une «augmentation» des affaires de corruption touchant les agents en bout de chaîne. Des policiers gagnent notamment de l’argent en vendant à des tiers la consultation de fichiers confidentiels. Outre les policiers, les dockers, employés de société de transport, douaniers et agents pénitentiaires font partie des métiers ciblés par les corrupteurs, détaille l’Ofast dans un récent rapport confidentiel, consulté par l’AFP. Ces professionnels corrompus n’ont «pas toujours conscience de participer pleinement à une activité criminelle d’ampleur», souligne l’Ofast. Leurs «attributions semblent anodines» mais ils peuvent accéder «à des lieux ou à des données primordiales» pour les trafiquants. Un magistrat spécialisé relève que la «force de frappe financière» des trafiquants est telle, insiste-t-il, qu’elle place aujourd’hui «les corps constitués de l’Etat» en réelle «situation de faiblesse» (https://www.liberation.fr, 4/3/2024). Y- a- t il menace sur l’ensemble des corps constitués ?