Ouest France : “Pourquoi armer les policiers en repos ?”

Ouest France : “Pourquoi armer les policiers en repos ?”
19 novembre 2015 pierre

L’état d’urgence est prolongé jusqu’à fin février. Pendant cette période, les policiers pourront porter leur arme en dehors de leurs heures de service. Il était temps, estime Thibault de Montbrial, avocat au barreau de Paris, spécialiste de la légitime défense.

Les policiers qui le souhaitent pourront être armés en permanence, y compris hors service, a indiqué dans une note la direction générale de la Police nationale. Cette mesure s’appliquera pendant l’état d’urgence qui a été prolongé de trois mois jusqu’à fin février par un vote des députés. Elle était réclamée depuis samedi par les syndicats de police. Car en théorie, les policiers en repos doivent laisser leur arme dans leur service ou chez eux. Une pratique qui fluctue en fonction des spécialités.

Brassard et séances de tir

S’ils portent une arme pendant leur repos, les policiers devront arborer un brassard de police pour éviter la confusion avec des collègues en service qui pourraient intervenir. Il faudra également avoir effectué un minimum de séances de tir réglementaire organisées dans la police. Et aviser sa hiérarchie de la démarche de prendre son arme en rentrant chez soi par exemple.

Thibault de Montbrial, avocat au barreau de Paris, spécialiste de la légitime défense et des questions de terrorisme, défend et conseille des policiers depuis vingt ans. Il préside également le Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, un groupe dans lequel se trouve notamment l’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic. Il milite depuis plusieurs années en faveur du port permanent de l’arme pour les personnes habilitées. Entretien.

Êtes-vous satisfait que le port permanent de l’arme soit enfin autorisé aux policiers ?

Mieux vaut tard que jamais. C’est dommage que les policiers en repos présents sur les lieux des attentats vendredi soir n’étaient pas armés. Ils auraient pu commencer à riposter et peut-être réduire le nombre de morts. Rien n’est sûr évidemment, mais ça aurait pu… Cette mesure, c’est bien, mais je demande qu’on aille au bout de la logique et que cette autorisation soit étendue à toute personne habilitée à porter une arme, les gendarmes en priorité, les douaniers et aussi les services civils de sécurité comme les convoyeurs de fonds par exemple.

Pourquoi le préconisez-vous ?

On sait, en analysant les scènes des attentats à travers le monde, que plus la riposte est rapide moins le nombre de morts est élevé. Si le terroriste rencontre une résistance, ça le gêne et ça peut même l’arrêter. En pleine ville, les forces de l’ordre mettent 5-10 minutes à arriver. Or, il faut dix secondes pour vider un chargeur de kalachnikov.

Avec cette mesure, on décuple le nombre de personnes dans les lieux publics susceptibles de riposter à une attaque terroriste. En plus, les terroristes ne peuvent pas repérer des policiers et gendarmes en civil.

Cette mesure devrait donc dépasser le cadre de l’état d’urgence, selon vous ?

Compte tenu du nombre d’islamistes radicaux en France, de leur violence exprimée et de la qualité de leur formation militaire, tous les professionnels savent que la situation que nous vivons actuellement va durer bien au-delà de l’état d’urgence. Le port permanent de l’arme doit donc devenir une culture des forces de l’ordre. Mais avec ses contraintes. C’est-à-dire qu’un policier qui va à une fête devra sans doute choisir entre l’arme et l’alcool.

Vous ne craignez pas des dérives, comme un policier qui tire à mauvais escient ?

Il n’y a aucune raison que les policiers fassent n’importe quoi avec leurs armes pendant leur repos, alors qu’ils la maîtrisent pendant leur service. Je tiens bien à préciser que je soutiens le port permanent de l’arme uniquement pour les personnes habilitées, c’est-à-dire celles qui bénéficient d’un entraînement et d’un apprentissage des règles de sécurité et d’une capacité d’analyse.

En dernier argument, dans une scène comme celle de vendredi soir à Paris, je crois que la question d’une balle perdue devient secondaire. Il vaut mieux laisser une chance aux gens de survivre et une personne armée peut sauver des dizaines de vies.

En France, il n’y a aucune culture de l’arme. Des dernières années de pratique judiciaire et administrative ont développé une crainte de l’arme chez les forces de l’ordre. Quand, en tant qu’avocat, on défend des policiers qui ont utilisé une arme, on se retrouve souvent face à une méconnaissance des magistrats et des questions parfois surréalistes.

Que permet la loi à un policier dans l’usage de son arme ?

Les règles de légitime défense sont les mêmes pour tous. Forces de l’ordre en service ou pas, simples citoyens, avec ou sans armes.

C’est pour cela que le port permanent de l’arme est une mesure facile à prendre, il n’y a pas d’adaptation légale nécessaire. En revanche, il y a une responsabilité. C’est pourquoi ce droit ne peut être étendu à des personnes qui savent maîtriser les armes. Il est ensuite de la responsabilité de l’administration de bien former les forces de l’ordre. Aujourd’hui, le niveau de formation au tir des policiers de sécurité publique – je parle ici de la base de la police – est insuffisant en France. De nombreux policiers prennent sur leur temps libre et leur argent pour améliorer leur niveau.

Faut-il améliorer les règles de légitime défense ?

La loi est extrêmement contraignante. La légitime défense doit être immédiate, nécessaire – c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autres moyens – et proportionnelle. C’est l’interprétation de ce dernier élément qui est aujourd’hui le plus contestable. Il exige de celui qui est contraint de se défendre un sang-froid en plein stress quasi-inhumain.

Or la légitime défense tient jusqu’à ce que la menace cesse. Le Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, que je préside, propose notamment d’assouplir ces règles en créant une « période de danger absolu » pendant laquelle les conditions juridiques du droit d’ouverture de feu par les forces de l’ordre en cas d’attaque terroriste dans un lieu public seraient élargies. Ce qui permettrait, par exemple, de tirer sur des terroristes lorsqu’ils s’enfuient, y compris dans le dos.

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