Justice, migration, sécurité intérieure : un mois de juin riche en actualités et placé sous le signe de Schengen

Justice, migration, sécurité intérieure : un mois de juin riche en actualités et placé sous le signe de Schengen
2 juillet 2025 Olivier Debeney

Le Conseil européen célèbre les 40 ans de l’espace Schengen au travers d’un diagnostic sur l’état de santé de la zone de libre-circulation

Les Etats-membres de l’UE (EM) ont approuvé le 12 juin 2025 une déclaration commune commémorant les quarante ans de l’espace Schengen, qui réunit en une seule zone de libre circulation 29 Etats pour 450 millions de personnes. Réalisé en deux étapes, avec des accords en 1985 et 1990, l’espace Schengen est devenu un marqueur fort de la construction européenne – et l’un de ses héritages les plus tangibles (voire, par ailleurs, la note du CRSI à ce sujet).

Par Aurélien Jean


Cependant, lors du Conseil des Ministres de l’Intérieur du lendemain (tenu à Luxembourg), l’esprit était moins aux commémorations qu’à des discussions quant à la meilleure manière de concilier la libre-circulation avec les « menaces » croissantes auxquelles est confronté l’espace Schengen. En effet, une dizaine de pays ont réintroduit des contrôles aux frontières, dont certains depuis dix ans maintenant (dont la France). Néanmoins, dans une déclaration en sept engagements, le Conseil s’est dit attaché « à ce que la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures reste une mesure de dernier recours » tout en estimant qu’il fallait agir davantage en ce qui concerne « le retour des personnes en séjour irrégulier ainsi que la prévention et la lutte contre la criminalité transfrontalière en ligne et hors ligne, le terrorisme, ainsi que les menaces émergentes telles que les menaces hybrides ou la cybercriminalité ». Et ce, alors qu’une semaine après la Belgique annonçait son intention d’introduire des contrôles aux frontières à l’été 2025 dans les gares, aéroports, aires de repos et grands axes du pays. La ministre de l’Asile et de la Migration, la nationaliste flamande Anneleen Van Bossuyt ayant argué la volonté de lutter contre l’immigration illégale et le « shopping de l’asile ».

Le commissaire européen aux affaires intérieures, Markus Brunner (PPE, Autriche) a, de son côté, exhorté à « mettre de l’ordre dans la ‘maison européenne’ [et à] mettre en œuvre le Pacte sur l’asile et la migration le plus rapidement possible ». La Commission, en tant que gardienne des traités, s’estime toutefois vigilante quant à l’évolution de la situation, notamment en Allemagne – situation sur laquelle s’est aussi exprimé le Ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. S’il faut « affirmer des signes de fermeté » car les règles de Schengen ont été fondées alors que « nous étions dans un autre monde », cela ne doit pas pour autant se faire au détriment des « déplacements pendulaires quotidiens transfrontaliers pour les honnêtes gens qui vont travailler d’un pays à l’autre ». M. Retailleau a aussi repris l’idée de patrouilles frontalières conjointes entre la France et l’Allemagne – une idée avancée quelques jours plus tôt par l’assemblée parlementaire franco-allemande. Du côté du Parlement européen, les commémorations de Schengen ont donné lieu à un discours durant la session plénière à Strasbourg ainsi qu’à des prises de positions diverses selon les affiliations politiques (un condensé ici).

Au rang des autres sujets abordés, la protection temporaire dont bénéficient les ukrainiens dans l’UE devrait être prolongée d’un an, jusqu’en mars 2027 et Chypre devrait être officiellement admise dans l’espace Schengen en 2026. Des étapes confirmatives sont toutefois requises d’ici là.

L’UE et le Royaume-Uni (RU) s’accordent sur des nouvelles règles de circulation concernant Gibraltar

Cédé par l’Espagne au Royaume-Uni en 1713, le rocher de Gibraltar était sorti de l’UE après le Brexit – au terme d’un texte arraché in extremis, mais qui ne réglait pas ou que partiellement certaines questions sensibles. Le mercredi 11 juin 2025, un accord en bonne et due forme a donc été signé entre l’UE (représentée par le commissaire Sefcovic) et le RU (via son ministre des affaires étrangères David Lammy) en présence du Ministre principal de Gibraltar et d’un représentant du Gouvernement espagnol, mettant fin à des négociations parfois tendues.

Cet accord prévoit de supprimer toutes les barrières physiques, contrôles frontaliers et autres mesures de vérification entravant la libre circulation des biens et des personnes circulant entre le territoire espagnol et la presqu’île britannique. Le défi a été de concilier l’intégration de Gibraltar à l’espace Schengen alors que le RU n’en est pas membre. Dans le détail, des contrôles frontaliers « deux-en-un » seront mis en place au port et à l’aéroport de Gibraltar, c’est-à-dire que ces infrastructures verront se déployer une coopération renforcée entre les autorités britanniques (représentant l’entrée sur le territoire du Royaume-Uni) et espagnoles (représentant l’entrée dans l’UE et l’espace Schengen via une frontière extérieure). Des arrangements ont aussi été trouvés pour fluidifier les processus en matière de visas et de permis.

Cela permettra de supprimer effectivement les contrôles terrestres, disposition particulièrement importante pour les 15 000 personnes, notamment espagnoles, traversant quotidiennement la frontière. Les contrôles frontaliers depuis le Brexit engendraient en effet des complications administratives et un surcoût pour l’économie. Cependant, bien que les dispositions concernant la libre-circulation soient marquantes, l’accord est plus large et couvre, notamment, des engagements en matière de concurrence, d’aides d’Etat, de fiscalité, de droit du travail et des travailleurs frontaliers, d’environnement, de commerce ou encore de lutte contre le blanchiment des capitaux. Ce dernier point, alors que le Rocher a été retiré la veille de la liste européenne des pays à haut risque de blanchiment (au détriment d’un autre rocher, Monaco, qui y a été ajouté). Enfin, des principes concernant une future union douanière entre l’UE et Gibraltar ont aussi été actés, où le territoire a dû faire des concessions, entre autres sur la question du faible prix du tabac.

Cet accord ne remet pas en cause l’appartenance du territoire au RU, ce qui n’empêche pas une frange de la classe politique britannique de s’indigner d’une perte de souveraineté. A l’inverse, le Gouvernement se félicite d’avoir dénoué une situation héritée de la précédente majorité.

La justice allemande juge illégaux les refoulements de demandeurs d’asile à la frontière…

Le tribunal administratif de Berlin a jugé, le 2 juin 2025, que les refoulements aux frontières mis en place par le Gouvernent allemand n’étaient pas conformes avec le droit européen. Le recours avait été formé en urgence par trois ressortissants somaliens (dont un mineur) arrivés en train depuis la frontière polonaise et refoulés après avoir demandé l’asile en Allemagne.

En effet, les juges ont considéré que le refus d’entrée sur le territoire ne peut pas être mis en œuvre tant que les procédures européennes n’ont pas été appliquées. En effet, en vertu du système « de Dublin », l’Allemagne aurait dû mener une instruction pour déterminer quel Etat-membre aurait effectivement été responsable du traitement de la demande d’asile des migrants (pour rappel, il s’agit du premier pays d’entrée sur le territoire de l’UE). Cela n’a pas été fait car le Gouvernement a considéré que l’application de l’article 72 du Traité sur l’Union Européenne l’en dispensait. Cet article prévoit la suspension de l’application de certaines mesures du droit européen en cas de menaces à l’ordre public. Les juges ont considéré que cette menace n’était pas caractérisée et ne reposait pas sur un ensemble de preuves suffisant, remettant en cause l’entièreté de la base juridique justifiant les refoulements. Pour le Tribunal, le simple nombre de demandes d’asile déposées ne suffit pas à invoquer une situation d’urgence, faute d’un lien établi avec la sécurité nationale et d’une argumentation justifiant en quoi les refoulements seraient utiles. De plus, elle a souligné que l’un des migrants était mineur, considéré à ce titre comme personne vulnérable, et que l’Allemagne n’avait pas cherché de solution commune avec la Pologne, enfreignant le principe de « coopération loyale ».

Notons que la décision du tribunal ne s’applique qu’à ces trois ressortissants et à leur cas d’espèce particulier, mais elle pourrait faire jurisprudence et ouvrir la voie à des jugements similaires dans de nombreux autres cas, particulièrement si la base légale est remise en cause. Par ailleurs, dans le système judiciaire allemand, cet arrêt n’est pas susceptible d’appel sauf à engager une assez peu probable procédure au fond.

La décision constitue en tout cas un revers pour la nouvelle coalition, qui a fait du durcissement migratoire l’un de ses leitmotivs. Dès son entrée en fonctions, le Chancelier avait en effet annoncé l’envoi de policiers supplémentaires aux frontières et promis un renforcement des expulsions. Il faisait suite à une campagne dominée par les enjeux sécuritaires, les attaques au couteau et un score très important du parti AfD. En corollaire, c’est toute la politique de Friedrich Merz qui est critiquée : des contrôles limités aux points de passages principaux, peu mobiles, créant des embouteillages, négligeant l’ensemble des axes secondaires et un effet dissuasif in fine assez faible (87 personnes refoulées en deux semaines – sur les limites des contrôles, voire la note du CRSI à ce sujet).

Malgré les critiques, Alexander Dobrindt, ministre de l’Intérieur, a toutefois annoncé que cet arrêt ne changerait pas l’action de l’exécutif, refusant de s’arrêter « sur des cas individuels » et soulignant que l’Allemagne continuerait cette politique visant à éviter « des demandes d’asile excessives ». Berlin assume d’ailleurs ouvertement vouloir aller plus loin que les actuelles propositions européennes sur l’asile et la migration, rejoignant en cela un groupe de quatorze Etats mené par le Danemark, l’Italie et les Pays-Bas. De plus, le Bundestag a voté le 27 juin un dispositif annoncé dès l’arrivée au pouvoir de la nouvelle coalition : la suspension pour deux ans du regroupement familial pour les réfugiés bénéficiaires d’une protection subsidiaire (cf. brèves de mai, sur le site du CRSI). Pour rappel, en 2024, 230 000 personnes ont demandé l’asile en Allemagne, soit 30% de moins qu’en 2023.

… Et la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) estime que l’aide à l’entrée illégale de migrants mineurs, par leurs tuteurs légaux, n’est pas condamnable

Dans un arrêt rendu en Grande chambre le 3 juin 2025 (C-460/23, Kinsa), la CJUE se penchait sur le cas d’une ressortissante d’un pays tiers entrée illégalement sur le territoire de l’Union (en l’espèce, en Italie). Arrêtée en 2019 à l’aéroport de Bologne avec sa fille et sa nièce, mineures et munies de faux passeports, elles ont néanmoins déposé une demande de protection internationale – alléguant d’un danger encouru dans leur pays d’origine. Saisi de l’affaire, le tribunal de Bologne a requis l’avis de la CJUE (via le mécanisme de la demande préjudicielle) afin de savoir si la qualification d’aide à l’entrée irrégulière peut être retenue dans ce cas – notamment au regard de la directive 2002/90.

Ainsi, la Cour de Luxembourg a estimé que le fait d’aider à la violation du franchissement irrégulier des frontières ne revêtait pas un caractère pénalement répréhensible dans le cas où il s’agissait de faire entrer des mineurs placés sous la garde effective d’une personne entrant elle-même irrégulièrement. A l’appui de leur argumentation, les juges invoquent les articles 7 et 24 de la Charte des Droits fondamentaux de l’UE (droit à la vie familiale et droits fondamentaux des enfants) afin d’expliquer que le comportement reproché constituait en réalité la continuation de la relation familiale et des devoirs effectifs liés à la garde des mineurs.

Par extrapolation, la CJUE a estimé que ce principe s’appliquait également à l’asile, car toute personne ayant demandé une protection internationale ne peut être considérée comme clandestine tant qu’un jugement de premier ressort n’a pas été rendu. De ce fait, l’adulte ne peut encourir de sanctions pénales – ni pour sa propre entrée irrégulière ni pour celles des mineures.

Au surplus, la CJUE affirme que toute législation nationale qui réprimerait ce type d’entrée irrégulière serait contraire au droit de l’UE ; car les EM ne peuvent aller plus loin que la portée de l’infraction générale d’aide à l’entrée irrégulière. Celle-ci étant définie en droit européen, le législateur national ne peut y rajouter des comportements et/ou situations non-prévus originellement.

La loi sur la sécurité, marqueur politique du Gouvernement italien, a été votée malgré des oppositions franches

Dans la foulée de la chambre basse, c’est le Sénat italien qui a approuvé la loi sur la sécurité présentée par le Gouvernement de Giorgia Meloni. Ce texte, très controversé dans le pays, renforce les peines pour certains délits, accroit la protection des policiers et ambitionne de protéger contre le terrorisme, le crime organisé, l’occupation illégale de propriétés ou encore les atteintes à l’ordre public. Un scope très large donc. Le texte a été présenté sous forme de décret-loi, en gestation depuis un an, et entré en vigueur en avril (le Parlement avait ensuite soixante jours pour l’approuver ou non). Il a été porté par plusieurs figures du Gouvernement, notamment la première ministre et le ministre des transports (et chef de la Ligue), Matteo Salvini.

Dans le détail, la nouvelle loi prévoit plusieurs mesures. D’abord, le passage de certains actes autrefois considérés comme des infractions en délits, tels des actions de désobéissance civile (blocage de routes ou de lignes de chemins de fer) ou des sit-ins. Les condamnations pourront atteindre un mois de prison assorti de 300 euros d’amende (voire 6 ans dans le cas d’actions de groupe). Ensuite, la loi renforce les peines en cas d’agression/blessure d’un agent de police et alloue à ce dernier jusqu’à 10 000 euros pour couvrir ses frais de justice en cas d’enquête le concernant dans le cadre de son service – particulièrement sur des affaires de violences policières. Enfin, d’autres mesures durcissent les peines pour les détenus refusant d’obéir/se révoltant en prison ou en centre de détention pour migrants. Elles autorisent aussi les agents de renseignement à commettre certains crimes sans être poursuivis s’ils sont effectués à des fins de sécurité nationale. Les pickpockets seront en outre particulièrement ciblés et les squatteurs pourront être expulsés plus rapidement des lieux occupés. Les femmes enceintes reconnues coupables de délits entraînant une peine de prison seront désormais obligatoirement incarcérées une fois jugées (comme pour les mères d’enfants en bas âge), éventuellement dans des structures moins strictes qu’une prison classique. Ce sont en tout quatorze nouveaux délits qui sont créés, de même que de nouvelles circonstances aggravantes telles que le fait de proférer des menaces contre les forces de l’ordre pendant un rassemblement.

Ce texte a suscité beaucoup de réactions d’opposition de la part d’ONG, d’associations et de représentants de la société civile organisée qui craignent une « dérive autoritaire ». Des observateurs internationaux des Nations-Unies, de l’OSCEet même le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe ont exprimé leur désagrément quant à certaines mesures pouvant violer l’Etat de droit et le droit international. Les opposants estiment, en outre, que cette loi cible « de manière disproportionnée » les activistes, les migrants, les prisonniers et les minorités. De nombreuses manifestations ont d’ailleurs eu lieu juste avant le vote final, sans incidence sur son résultat. Ce tour de vis en matière de sécurité est également destiné à envoyer un message à l’électorat ayant porté au pouvoir la coalition des droites.

Dans un autre dossier, l’horizon pourrait en revanche s’assombrir pour le gouvernement Meloni. En effet, et alors que son modèle est de plus en plus considéré comme une source d’inspiration, la Cour de Cassation transalpine a rendu un avis juridique critiquant sévèrement l’accord signé entre Rome et Tirana (centres de rétention extraterritoriaux – cf. la note du CRSI). Il est notamment reproché l’absence de garanties procédurales et le fait que la détention soit une mesure par défaut et non une solution de dernier recours. Le document juridique est cependant non contraignant mais il pourra influencer les magistrats qui seraient saisis de litiges introduits dans le cadre de cet accord.

La Commission européenne fait le point sur la mise en œuvre par les Etats-membres (EM) du Pacte Asile et Migration – alors que se profile la directive « retours »

Les dernières données de l’agence européenne Frontex montrent une diminution de 20% des traversées irrégulières sur les cinq premiers mois de 2025 – particulièrement sur la route des Balkans, (-56%) et par la Mer Egée (-30%) mais avec toutefois une hausse de 17% des tentatives de traversées vers le Royaume-Uni. Comptant capitaliser sur ces résultats encourageants, la Commission européenne veut s’assurer de la bonne mise en œuvre des dispositions du Pacte Asile et Migration adopté en juin 2024 (sur ce texte, voire la note du CRSI). L’objectif est d’aboutir à une politique migratoire plus ferme et mieux coordonnée entre les EM, alors que les failles du règlement de Dublin sont visibles quotidiennement.

Pour ce faire, la Commission a passé en revue les plans nationaux soumis par tous les EM (sauf la Hongrie) sur la manière dont ils comptaient mettre en œuvre ledit pacte. Elle s’est focalisé sur dix aspects-clés nécessaires à une implémentation réussie : base de données Eurodac (stockant les empreintes digitales des migrants), conditions d’accueil, procédures de retour, voies légales et garantie des droits fondamentaux, etc. De manière globale, la Commission se dit satisfaite des efforts réalisés, mais note que des progrès sont à réaliser pour tenir l’objectif d’un déploiement opérationnel du pacte en juin 2026, comme voté.

Dans le détail, des divergences existent selon les pays. La France, par exemple et aux côtés d’une dizaine d’autres EM, dispose déjà des structures d’accueil et de ressources humaines. De nombreux EM ont aussi prévu de proposer un service de conseil juridique gratuit aux demandeurs d’asile. En revanche, d’autres pays, déjà exposés dans le système actuel, suscitent certaines inquiétudes, par exemple du point de vue de la mise en place d’une surveillance indépendante des droits fondamentaux. La Commission note par ailleurs que la majorité des EM ont mis en place les réformes nécessaires pour s’adapter au nouveau système d’évaluation de l’âge, censé objectiver les déclarations des demandeurs sur leur condition de mineur ou non. Les principaux points de progrès résident dans le traitement des arriérés des demandes d’asile.

Rappelons qu’un autre aspect crucial du Pacte sera déterminé cette année : le système de contributions indicatives. Déterminé par la Commission selon une clé de référence, il servira à établir la réserve de solidarité que devra verser chaque EM. Le « montant » pourra ne pas être pécunier puisqu’il reviendra à l’EM de choisir la forme qu’il préfère : réallocation de demandeurs d’asile, paiement financier, mesures alternatives, etc. Les contributions financières versées, recouvrées au début de chaque année, seront transférées vers les EM pouvant en avoir besoin pour gérer les situations migratoires (accueil, soutien gestion des frontières…). Concernant les mesures alternatives, celles-ci seront monétisées en équivalent contributif et pourront inclure des équipements techniques, un soutien opérationnel, du personnel, etc.

Ce bilan arrive alors que les EM sont en discussion sur un autre texte migratoire, ambitionnant de durcir le Pacte voté l’année dernière : la directive sur les retours de personnes en situation irrégulière. Lors du conseil des ministres de l’Intérieur à Luxembourg le 13 juin 2025, certains pays ont avancé leurs priorités et leurs lignes rouges. Ainsi, la Suède veut utiliser plus intensivement le levier des visas, en les conditionnant à la réadmission de ressortissants expulsés. Stockholm plaide aussi pour des expulsions de syriens, attendu l’évolution de la situation à Damas. De son côté, Rome craint un « fardeau procédural » et ne veut pas que le pouvoir discrétionnaire des Etats puisse être entravé (exemple de la durée des interdictions de retour). L’Italie est en effet l‘un des pays qui, selon la Commission, pourraient ne pas être prêts pour l’échéance de 2026. La Pologne dit aussi craindre pour sa sécurité, notamment en raison des nouvelles obligations sur le filtrage des migrants – un sujet délicat pour un pays qui subit une guerre hybride, avec des migrants instrumentalisés par la Russie et la Biélorussie. Varsovie admet en outre que « le modèle italien avec l’Albanie ne marche pas vraiment bien » et pose des questions juridiques (voir la note du CRSI à ce sujet).

Quant à la France, Bruno Retailleau a réaffirmé son opposition au système de reconnaissance mutuelle des décisions de retours, estimant que l’autorité qui ordonne une expulsion doit la mettre en œuvre. Il est soutenu en ce point par le gouvernement transalpin. Paris veut aussi faire du départ volontaire l’exception afin que les individus ne puissent pas « s’évanouir dans la nature » et veut renforcer les mesures permettant d’investiguer des liens potentiels avec le terrorisme de la part de certains migrants. La piste défendue par le Ministre de l’Intérieur consiste à pénaliser le séjour irrégulier, ouvrant la possibilité de fouiller les téléphones.

Vers un changement des règles d’engagement en ce qui concerne l’interception des migrants en instance de départ vers le RU ?

D’après plusieurs médias anglophones, le gouvernement français réfléchirait à modifier les règles d’engagement régissant le comportement des policiers et gendarmes déployés sur le littoral de la Manche. Les forces de l’ordre, dont la mission est de dissuader les migrants de partir vers les côtes anglaises, n’ont en effet que des prérogatives limitées en la matière.

Selon le modèle actuel, l’interception d’une tentative de départ ne peut advenir que lorsque les migrants ne sont pas dans l’eau – c’est-à-dire alors qu’ils ont encore les pieds sur le sable. Le risque avancé est de provoquer un mouvement qui engendrerait le décès de plusieurs migrants – incident pour lequel les forces de l’ordre seraient tenues responsables. Ainsi, sauf en cas d’extrême-urgence (danger évident et immédiat de mort, type noyade), une fois les migrants embarqués sur un bateau, les forces de l’ordre ne peuvent plus intervenir. La proposition en discussion verrait cette règle supprimée et remplacée par une limite fixée à 300 mètres des côtes, qui autoriserait l’intervention dans tous les cas, qu’importe le niveau de péril encouru par l’embarcation.

Cette évolution est tout sauf un hasard, alors que les tactiques employées par les passeurs s’adaptent en permanence et posent de nouveaux défis pour les contrer. Les techniques dites « taxi-boat » voient ainsi des embarcations pneumatiques arriver directement par la mer en longeant le littoral et récupérer des migrants en plusieurs points pour ne pas créer un seul attroupement facilement détectable. Ils restent de plus dans l’eau le temps de l’embarquement. Un moyen qui montre les limites des approches actuelles en la matière.

Enfin, le RU se plaint depuis plusieurs années de l’inefficacité d’une partie des mesures françaises, qui n’arrivent pas à dissuader les migrants de partir pour l’Angleterre – parfois plus d’un millier par jour, aidés en cela par une météo favorable. Le contexte politique britannique est de facto une donnée clé à considérer, notamment avec la croissance du parti Reform UK de Nigel Farage et l’incapacité – sanctionnée dans les urnes – du précédent gouvernement conservateur à arrêter les flux de « small boats ». Cela vient aussi dans un contexte où une nouvelle doctrine migratoire plus ferme a été dévoilée en mai 2025, dans un objectif assumé de dissuasion des candidats au passage (voir, sur ces points la note et les brèves publiées sur le site du CRSI).

Les colégislateurs s’entendent sur une refonte du mécanisme de suspension du régime d’exemption de visas

Le Conseil de l’UE et le Parlement européen (PE) sont ressortis avec un accord (texte amendé ici), le 17 juin 2025, relatif aux règles permettant de suspendre le régime de libéralisation des visas. En clair, il s’agissait de réformer le mécanisme qui exempte de visa les ressortissants de 61 pays – pour des voyages de maximum 90 jours sur une période de 180 jours – dans le cas où cette exemption nuirait aux intérêts de l’Union. Le mécanisme en lui-même a été introduit en 2013, mais l’évolution du contexte international et des priorités de l’UE rendaient cette réforme inévitable.

Dans le détail, la réforme crée avant tout des nouveaux motifs invocables pour suspendre l’exemption de visa tels que :

  • Le non-alignement du pays tiers sur les pratiques de l’UE en matière de régime de visa ;
  • La proximité géographique pouvant engendrer une arrivée non désirée de citoyens d’autres pays tiers (Afrique du Nord notamment) ;
  • La mise en place d’un programme de citoyenneté par investissement, reconnu contraire au droit européen par la CJUE (voir les brèves du CRSI à ce sujet) ;
  • Des menaces hybrides et/ou des lacunes dans la législation et les procédures du pays en question en matière de sécurité des documents (falsification, forte corruption etc.) ;
  • La détérioration des relations de l’UE avec ce pays, notamment au regard des Droits de l’Homme et du respect de la Charte de l’ONU, un marqueur de la position du Parlement.

A noter que ces motifs s’ajoutent à ceux existants, et ne les remplacent pas. Continueront donc de rentrer en compte des motifs de suspension basés sur l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile provenant de pays avec un faible taux de reconnaissance d’une part et sur l’augmentation du nombre de ressortissants de pays tiers refusés à l’entrée ou avec une durée de séjour dépassée d’autre part. A noter que les seuils ont été précisés. Ils seront de 20% dans le premier cas et de 30% dans le second. De tels seuils ne sont pas une idée nouvelle et ont, notamment, été repris par la Commission dans sa proposition sur les retours vers des « pays sûrs » (voir la note du CRSI à ce sujet).

Parmi les autres mesures sur lesquels Parlement et Conseil sont tombés d’accord figure la durée de suspension, qui passera de neuf à douze mois assorti d’une possibilité de renouvellement prolongée de six mois supplémentaires (de dix-huit à vingt-quatre). L’UE aura aussi la possibilité de ne cibler que les hauts fonctionnaires et diplomates des pays tiers concernés sans toucher le reste de la population, une demande forte du PE.

A noter enfin que ce texte figure parmi les derniers négociés par la présidence polonaise du Conseil européen, avant qu’elle ne laisse la place au Danemark pour une période de six mois. Il devra passer par un vote formel au PE et par une approbation des EM avant d’entrer en vigueur.

Dans le reste de l’actualité européenne

EUROJUST : L’agence européenne a dévoilé un rapport relatif aux droits des victimes en contexte transfrontalier. Il souligne plusieurs difficultés telles que l’identification des victimes, la complexité des enquêtes sur plusieurs pays ou encore la sous-déclaration des crimes commis.

EPPO : Le Parquet européen a signé un accord de coopération avec six pays d’Amérique Latine (Pérou, Argentine, Costa-Rica, Panama, Paraguay et Brésil). Ces accords ont pour but de renforcer la coopération en matière de crime organisé transnational, de blanchiment d’argent ou de corruption.

FRONTEX : L’UE et la Bosnie-Herzégovine ont signé un accord renforçant leur coopération en matière migratoire et de gestion des frontières. Conformément à des engagements conjoints pris en 2022, Frontex pourra déployer un contingentpermanent en Bosnie (pays candidat à l’adhésion) – aéroports et points de passage frontaliers avec des pays non-membres de l’UE inclus.

COMMISSION EUROPEENNE : Dans une lettre du 23 juin adressée aux dirigeants européens, Ursula Von der Leyen a fait le point sur les accords passés avec des pays tiers en matière migratoire. En outre, de nouvelles étapes sont prévues avec le Sénégal (30M d’euros d’aides pour prévenir les départs et augmenter les taux de réadmission) ainsi qu’avec l’Inde. Dans le cas de New Delhi, l’UE veut mettre en place un guichet unique pour un « partenariat de talents » vers l’Europe. Ce « bureau pilote » pourra être étendu à d’autres pays tiers en cas de résultats probants.

PARLEMENT EUROPEEN : Des eurodéputés ont entendu en commission LIBE (libertés civiles, justice et affaires intérieures) des représentants d’EPPO, de la Commission, d’Europol et d’Eurojust. Il en ressort que la coopération entre ces différentes agences et les EM pourrait être mieux structurée, notamment en matière d’accès et de partage des informations. Les agences européennes sont d’accord sur le fait que le cadre juridique est inadapté (ex : Europol ne peut initier d’enquête que sur demande d’un EM). Cela est particulièrement sensible en matière de criminalité organisée.

CJUE : Selon l’avocat général Emiliou (dans l’affaire C-50/24 Danané), une demande d’asile peut être présentée dans un centre de rétention situé à l’intérieur du territoire (ex : aéroport) et être considérée comme relevant d’une procédure « à la frontière ». La rétention peut de même être prolongée au-delà du délai initial sans affecter ce statut. Rappelons que l’opinion d’un avocat général ne détermine pas nécessairement le verdict final de la formation de jugement.